Des serviteurs zélés se sont, tout d'un coup, crus choisis par la providence pour jouer le rôle de thaumaturge. Après l'annulation de la marche des mouhafadhate du Grand-Alger par Ali Benflis, le secrétaire général du FLN, certains observateurs avaient ressenti comme de la frustration et, ne sachant comment en appréhender la nature, avaient adopté le profil de l'enfant, qui, au moment de saisir le bocal de confiture pour s'en délecter, l'a renversé par mégarde et n'a pu le rattraper. On imagine sa frustration. Comme la politique n'est rien moins qu'une manifestation de la vie réelle, nous avons essayé de savoir si, après la décision de Benflis, le parti avait connu des défections et s'il a ou non quelque part perdu au change, des questions logiques en somme. C'est 1a raison qui nous a poussé à les poser hier au siège du parti à Hydra. Voici la réponse à ce propos d'un membre très actif du bureau politique. Des défections, avez-vous dit? Eh bien, je vous rassure. Non seulement il n'y en a eu aucune, «mais de toutes les régions du pays, des militants, des sympathisants et de plus en plus de citoyens nous interpellent en nous priant de préparer, pour les prochains jours, une marche à laquelle ils voudraient participer». Est-ce à dire que la base militante du FLN n'a pas changé malgré les pressions qu'on n'a pas cessé d'exercer sur ses instances régionales et ses kasmas? Justement, et là je pense, a-t-il ajouté, que c'est à ce niveau que se situe l'erreur commise depuis le début par les «nihilistes» du «parti de l'administration». Des nihilistes? Mais pourquoi donc? Parce que non seulement ils veulent détruire le FLN, mais aussi tout ce que l'Algérie a construit depuis l'indépendance. Vous nous parliez de la base du FLN tout à fait au début, qu'a-t-elle de si particulier cette base pour être encensée aussi généreusement? La réponse de notre interlocuteur est simple, mais édifiante. Savez-vous, dit-il, que c'est la même base qui, lors du scrutin présidentiel de 1999, avait conduit le candidat du consensus à la victoire? Qu'en est-il aujourd'hui? Que cette même base qui a connu un plus démographique revigorant entre-temps, est d'ores et déjà perdue pour l'élu de 1999. Comment ça? Eh bien, parce qu'elle n'a pas oublié, ajoute-t-il, qu'à l'époque, c'est grâce à des centaines de réunions et d'interminables rencontres avec elle, à travers tout le pays, «que nous avons pu la convaincre de voter pour lui et c'est publiquement aujourd'hui que j'avoue devant vous que nous nous sommes trompés». On peut lire, en effet, dans nombre de manuels édités par des politologues ou des théoriciens que les bases militantes fortement implantées dans des pays où le pluralisme fonctionne plus ou moins correctement, sont souvent en avance par rapport à leurs instances dirigeantes. En Algérie, le FLN compte 1700 kasmas, pourquoi n'ont-elles pas basculé dans l'escarcelle de ceux qui veulent, sans foi ni loi, s'emparer du parti du FLN pour en user comme une machine à créer le miracle. On comprend alors, nous dit notre interlocuteur, pourquoi on continue impunément à s'acharner à exercer des pressions sur les employés des mairies et des chefs-lieux de wilaya pour les pousser de force avec de pauvres paysans qu'on installe sur le bord des trottoirs en leur intimant l'ordre d'applaudir le passage ou l'arrivée du cortège présidentiel. Et cette gabegie qui consiste à offrir l'argent du contribuable tous azimuts pour faire croire qu'il suffit de quelques pièces pour faire changer d'avis à un quidam, pouvez-vous m'expliquer pourquoi le Président a oublié jusqu'aux limites permises par la Constitution à propos des deniers publics? Je ne comprends pas, dit-il, qu'un Président comme Abdelaziz Bouteflika, qui n'est quand même pas le dernier venu en politique, ait pu se laisser endormir sans imaginer un seul instant le complot qui se tramait autour de lui. Contre lui! Des serviteurs zélés, ruisselant d'argent provenant des caisses noires de l'Etat ou du Trésor public, se sont tout d'un coup crus choisis par la providence pour jouer le rôle de thaumaturge afin d'élire un président pour un second mandat. Ce sont les mêmes qui, lors du mémorable conflit ayant opposé le Président de la République à son Chef de gouvernement, Ali Benflis, qui avaient assuré au chef de l'Etat que le parti du FLN tomberait naturellement dans son escarcelle, Benflis à peine parti. Le résultat de cette grossière manoeuvre a été lamentable dans la mesure, ajoute notre interlocuteur du bureau politique, où au lendemain de l'éviction de Benflis par le Président, le parti tout entier s'est regroupé par solidarité autour de lui. Il en a été de même quand les Hadjar et consorts avaient entamé leur cycle de déprédations contre les permanences du parti de Ali Benflis. Cette fois encore, son cercle d'hommes de main lui avait juré ses grands dieux, qu'il suffirait qu'une seule mouhafadha tombe pour que le reste suive. Le résultat, rappelle encore notre interlocuteur, a été tout aussi lamentable que le premier. D'où cette question que je pose à tous mes concitoyens, ajoute l'homme du bureau politique: «Après toutes ces violations de la loi, le Président de la République a-t-il jamais informé de la réalité du pays? Le cercle, qui s'est mis à son service, ne le tient-il pas en dehors de la vérité du terrain pour qu'il ne sache rien des forfaits commis en son nom.» Si ces informations étaient confirmées par l'histoire, ce serait la confirmation que depuis quelques mois, ce n'est pas le président élu en 1999 qui dirigeait le pays, mais bien le cercle de ses seconds couteaux. Il est temps qu'il se réveille!