L'ingérence politique d'hier s'est muée en lobbying économique. Voilà le grand changement intervenu dans le village Françafrique, où bruissent toujours les guerres de réseaux, les rumeurs de «messe noire» et de rose-croix. Enquête. Fin avril, à Dakar, une opinion émise par un officiel français sur les péripéties de la vie politique française, lancée depuis les jardins de l'ambassade de France, atterrit dans les salles de rédaction de la presse locale et, de fil en aiguille, enfle, au point de nécessiter un démenti formel. Les Sénégalais ont sans doute eu raison de s'alarmer, car cet important Monsieur, qui aurait estimé que «le président Wade ne pourra pas se représenter : il a 84 ans, voire même 85 ou 86 ans», est le Monsieur Afrique de l'Elysée, directement sous les ordres de Claude Guéant, bras droit de Nicolas Sarkozy, qui serait, en fait, le vrai manitou de cette Françafrique. André Parant occupe une fonction prestigieuse, hantée encore par d'illustres devanciers, dont les noms, évoqués encore aujourd'hui dans la forêt de la Françafrique, font bondir certains chefs d'Etat. Ancien ambassadeur au Sénégal et au Liban, fils d'un conseiller de Houphouët Boigny, petit fils d'un goumier au Gabon, ce nouveau Monsieur Afrique hérite du fauteuil laissé vacant par Bruno Joubert, «en exil forcé à Rabat», selon les propos lapidaires d'un ex-diplomate au long cours, reconverti aujourd'hui dans la consultance. Querelle des anciens et des modernes En fait, Bruno Joubert, nommé ambassadeur de France à Rabat, aurait été écarté pour sa posture plutôt «légaliste», adoptée notamment dans les dossiers mauritaniens et malgaches, mais pas aussi «naïve» que les incantations d'un Jean-Marie Bockel, éphémère secrétaire d'Etat de la Coopération, qui paiera ses Te Deum prématurés sur la mort de la Françafrique par un limogeage retentissant. Il sera envoyé, lui aussi en exil, aux Anciens combattants. Ce sacrifice rituel, exécuté dans les premiers mois du mandat du président Sarkozy, mettait en évidence la guerre des clans. Une «querelle entre les anciens et les modernes», qui tourne, depuis 2007, à l'avantage des premiers. L'arrivée d'un André Parant aux commandes renforce la position conservatiste de la défense «des intérêts de la France d'abord». L'identité du successeur du pragmatique Jean-Michel Severino à la tête de l'AFD, institution repositionnée désormais en agence de développement du type de la britannique CDC et du néerlandais FMO, et débarrassée des réseaux Foccart, Chirac ou Pasqua, devra conforter la victoire des anciens ou, (ce serait alors une surprise) rétablir l'équilibre dans le village gaulois de la Françafrique. L'AFD continuera-t-elle à se muer en véritable structure de développement ou, au contraire, redeviendra-t-elle, un instrument de financement de l'influence française en Afrique ? C'est là l'enjeu essentiel d'une future nomination, dont le seul décideur sera Nicolas Sarkozy lui-même. Les nouveaux rôles des hommes de la Françafrique A deux années de la fin de son mandat, celui-ci «n'a pas les coudées franches pour brusquer les barons de la Françafrique», diagnostique une voix non autorisée, au sein d'un institut des relations internationales pour qui les rapports entre la France et l'Afrique sont condamnés à évoluer à l'aune de la mondialisation : «Il y a 15 ans à 20 ans, l'Afrique avait des partenaires limités aux anciens colons, aux Chinois et aux Russes. Aujourd'hui, nous sommes dans une phase d'internationalisation des rapports. On parle de la Chine souvent. Mais, derrière, il y a de nombreux pays émergents qui veulent se positionner sur les matières premières africaines.» Les nouveaux hommes de la Françafrique auront donc pour tâche de faire du lobbying économique dans un contexte différent, marqué par la démocratie grandissante en Afrique et une opinion publique française opposée aux vieilles méthodes. En fait, si la Françafrique s'essaie à la non-ingérence dans les affaires politiques (Mauritanie, Madagascar, Niger, etc.), elle mobilise son influence au service des intérêts français en Afrique. C'est ce que croit Protais Ayangma, président de la Fédération africaine des Assurances (FNAF). «La Françafrique existe économiquement. Elle est visible et a encore quelques beaux jours devant elle parce qu'on voit bien que certaines entreprises françaises continuent à gagner des marchés dans des conditions pas toujours transparentes». Une analyse partagée par cet économiste français, auteur de plusieurs études sur l'Afrique, et qui estime qu'il sera difficile pour certains secteurs (le BTP par exemple) de rivaliser en Afrique avec les entreprises chinoises et brésiliennes, dont les coûts sont compétitifs. «C'est quand même sur les flux commerciaux que les entreprises françaises auront le plus de mal. Les produits chinois déversés sur l'Afrique coûtent moins cher. L'Africain qui n'a pas le pouvoir d'achat élevé préfère investir sur une moto chinoise, quitte à la réparer souvent». Très cher pré-carré français Comme tout pays, la France devra, pour préserver ses intérêts, revoir à la baisse ses ambitions de réformes de la Françafrique, en félicitant systématiquement les présidents élus et réélus, et en fermant les yeux sur les dossiers qui fâchent. C'est à ce prix qu'Areva a reconduit son contrat minier avec le Niger, lors d'un déplacement du président Sarkozy à Niamey, le 27 mars 2009. Ce voyage avait pour but la renégociation du contrat sur l'exploitation des gisements d'uranium d'Imouraren, l'un des plus importants au monde, dont le permis est détenu par la multinationale française Areva. La rupture de la Françafrique à ce niveau réside sans doute dans les déclarations mêmes du président Nicolas Sarkozy: «Au Niger, la France a des intérêts, elle les assume et les promeut, en toute transparence». C'est sûrement ce franc-parler de Nicolas Sarkozy, en rupture avec l'approche distante de Mitterrand et, somme toute paternaliste mais discrète de Chirac, qui fait croire à certains que la Françafrique revient en force. Au Gabon, où il s'est rendu à trois reprises depuis le début de son mandat, le président Sarkozy a obtenu du nouveau président Ali Bongo la révision du contrat de la mine de Belinga, accordé à des entreprises chinoises. Le président français a vanté la refondation des rapports entre Paris et Libreville et a exalté un nouveau cadre de coopération. Le défilé du 14 juillet prochain, où armées française et africaines défileront, montre bien que s'il y a volonté de changement, il n'y a pas rupture. Ce défilé est déjà considéré comme la célébration de la Françafrique. Encore une manifestation «décomplexée» des liens unissant l'Hexagone à ses anciennes colonies ?