Il faut chasser “les vieux démons du paternalisme, du clientélisme et de l'assistanat” et “tourner la page des réseaux d'un autre temps, des conseillers officieux, des officines, des émissaires de l'ombre”. Il faut conditionner l'aide au développement à la “la bonne gouvernance”. Ce sont là des phrases concernant les relations entre la France et l'Afrique, tirées des discours prononcés à Bamako (Mali) et à Cotonou (Bénin) en 2006 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur et candidat de l'UMP à l'Elysée. En un mot comme en dix, il suggérait alors la fin de ce qui est connu sous le sobriquet de françafrique, c'est-à-dire la fin de “l'Afrique de papa”. En juillet 2007 à Dakar, au Sénégal, deux mois seulement après son élection, il a voulu réitérer ce qu'il considérait comme un discours de rupture par rapport aux politiques africaines de ses prédécesseurs de la Cinquième république, mais, lancé dans une espèce de démonstration pour le moins osée, il a provoqué un tollé général dans toute l'Afrique par ses propos jugés humiliants pour l'homme africain. De plus, en quittant le Sénégal, il s'est directement rendu au Gabon d'Omar Bongo, rendant illisible et peu crédible son discours. Arrivé mercredi dernier à Libreville pour une visite officielle, le locataire de l'Elysée a été reçu avec des égards et un zèle qui ne dénotent en rien une quelconque rupture avec la “tradition” qui s'est installée dans les relations de la Ve république avec les anciennes colonies françaises d'Afrique noire. Comment peut-il en être autrement dans un pays dont l'ancien président, Omar Bongo, a symbolisé à lui seul cette françafrique pendant plus de trois décennies ? Son fils Ali, élu l'année dernière à la tête du pays dans des conditions contestées et contestables, a voulu pourtant faire preuve à son tour d'une volonté d'en finir avec la gouvernance de son propre père. “Nous ignorons vous et moi le contenu réel de ce qui est parfois appelé françafrique”, dit-il en s'adressant à son invité, avant de préciser : “La politique des tutorats, des réseaux, des leçons est révolue.” Abondant dans le sens du président gabonais auquel il donnait du “cher Ali”, Nicolas Sarkozy lui répondit, dans une parfaite complicité, qu'il n'appartenait pas à “la génération de la colonisation” et qu'il n'en avait “pas non plus les complexes”. Mais les discours restent des discours et les intentions, des intentions. Les faits, eux, sont têtus. En effet, en juillet et en septembre 2007, quelques mois seulement après son élection à l'Elysée, Nicolas Sarkozy a décoré de la légion d'honneur Georges Ouégnin et Robert Bourgi. Le premier est connu pour avoir été pendant de longues années le maître absolu du protocole de la présidence ivoirienne et le second est tout simplement le successeur de Jacques Foccart et le légataire de ses nombreux et puissants réseaux en Afrique. Durant l'élection présidentielle houleuse au Gabon, Robert Bourgi a beaucoup fait parler de lui en affichant publiquement son soutien à la candidature d'Ali Bongo, au grand dam des candidats de l'opposition et du principe de non-ingérence, créant même un certain malaise à l'Elysée et au Quai d'Orsay. Il faut dire qu'il n'est pas étranger au cercle présidentiel puisqu'il a fait partie des privilégiés conviés à la cérémonie d'investiture de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République. Or, en matière de “réseaux” douteux, d'“émissaires de l'ombre” et de “conseillers officieux”, on ne fait pas mieux. Mercredi dernier Robert Bourgi était pourtant du voyage de Libreville. Il a même fait preuve d'une certaine ostentation et disait à qui voulait l'entendre qu'il était “l'invité personnel” du président de la République. Enterrée la françafrique ? Non, à peine relookée.