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La colonisation, en quelques «bienfaits»...
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 30 - 06 - 2010

Beaucoup d'estivants qui flânent en ce mois de juin 2010 à Sidi Fredj, ne peuvent s'imaginer que ces lieux, rendus exubérants par le rush estival, ont une mémoire historique à l'épreuve du temps. Y aurait-il des curieux parmi ceux qui fréquentent le théâtre de verdure du Casif, pour demander à quoi aurait pu servir ce fort ?
Il est vrai aussi que les nouvelles générations, non au fait de la longue nuit coloniale, ne nourrissent aucune rancœur revancharde à l'égard de l'occupation armée de leur pays. Et par conséquent, elles cherchent à «oublier». Elles veulent vivre, sans revenir toujours aux guerres qu'a eu à mener leur ascendance. Elles ne savent pas qu'à celle-ci, il n'a été imposé que la guerre. Cette nonchalance à la limite de l'indifférence a fait que, maintenant, non seulement on profane l'emblème national par autodafé, mais on pousse l'injure jusqu'à arborer, sous l'emprise de la colère, le drapeau tricolore.(1) Pur hasard ou ironie de l'histoire, le quartier où a lieu le départ de feu s'appelle encore le quartier de la SAS (Section administrative spécialisée) de sinistre mémoire. De l'autre côté de la Méditerranée et au même moment, un jeune Algérien est molesté par la police pour avoir insulté Nicolas Sarkozy en visite nocturne en Seine-Saint-Denis. Il arborait un drapeau algérien maculé de sang.(2) Cette page douloureuse n'est pas encore prête pour être définitivement tournée.
Les rivalités historiques, moins passionnelles, certes, qu'au début de la rupture, persistent et se transmettent de génération en génération. La cause première remonte, bien sûr, à ce fatidique 14 juin 1830, où le général Louis Marie Eugène de Bourmont et consorts foulaient avec violence le sol algérien. Ce fade général, qui méritait «le bâton» selon la satire du «Figaro» de l'époque, a eu malheureusement celui de maréchal en offrant à la France chancelante tout un empire. Et c'est justement à Sidi Ferruch, encore, alors que le pays venait à peine de recouvrer son indépendance, que le Mémorial de la colonisation en pièces quittait discrètement l'Algérie le 21 juillet 1962. La France guerrière sortait symboliquement par la porte d'entrée. Soumise à la vindicte populaire, la stèle fut déboulonnée nuitamment et pour faire vite, on fit intervenir un commando parachutiste pour sauver ce qui pouvait l'être. Le commando Guillaume livrait son baroud d'honneur, le 4 juillet 1962, en faisant exploser le Mémorial de la colonisation. Retour sur les évènements :
«L'oeuvre d'Emile Gaudissart érigée en Algérie pour y célébrer le centenaire de la présence française, échappe de justesse à la démolition par les fellaghas, les 4 et 5 juillet 62, est récupérée en catastrophe lors d'une opération commando montée par des officiers du 3ème RPIMa (3) et du commando Guillaume, est ensuite ramenée en France par le 3 (rpima) le 21 juillet, puis «oubliée» dans les sous-sols de l'école de St Maixent jusqu'en 1986.»... «Le marbrier Raymond Berges de Perpignan est chargé de restaurer et de remonter l'ensemble. La nouvelle stèle qui représente deux femmes (la France et l'Algérie) est réimplantée le 14 juin 1988 sur le terre-plein de la redoute Bear.».... «Inaugurée à l'origine, le 5 mai 1930, par le président de la République Gaston Doumergue, elle mesurait 15 mètres, elle se composait d'un bas-relief symbolisant sous les traits de deux femmes, l'union de l'Algérie à la France. L'inscription qui y figure est la reprise du texte gravé par Latour à l'entrée du fort de Sidi-Ferruch:
«Ici le 14 juin 1830 - par ordre du Roi Charles X sous le comm. du G. de Bourmont-, l'armée française vint arborer ses drapeaux, rendre la liberté aux mers, donner l'Algérie à la France». On y ajoutait : «Cent ans après, la République française ayant donné à ce pays la prospérité, l'Algérie reconnaissante adresse à la mère patrie l'hommage de son impérissable attachement» (Extrait des tablettes du général Lemée lors de la cérémonie commémorative du 14 juin 1996).
Voilà une nation, déboutée d'un territoire qu'elle n'aura occupé que par le glaive, qui honore ses militaires et ses colons, en s'attachant à un amas de marbre. Il lui était loisible d'ériger une fidèle réplique du mémorial, mais elle a préféré les restes symboliques d'une occupation coloniale inique, qu'elle ne compte pas encore abjurer par la repentance. Que de sanctuaires et de lieux historiques foulons-nous au pied, sans qu'une seule fibre de notre ego ne tressaille. Sommes-nous apatrides ou indignes de ce pays ? La France des Lumières a mené, tout au long de sa présence en Algérie, une guerre sans merci à la population. Population dont les chefs n'ont fréquenté aucune école de guerre.
Il s'agirait du premier usage, d'une guerre non conventionnelle, fait par une armée régulière. Les généraux, Bugeaud, Pélissier, Cavaignac, de Saint Arnaud, chefs de la redoutable Armée d'Afrique voulaient vite en finir. Ils eurent recours au pogrom par l'enfumade, dont l'utilisation consacrait son irruption lexicale dans l'encyclopédie. Le général Thomas-Robert Bugeaud, pensant en finir avec les partisans de l'Emir Abdelkader trop nombreux dans la région d'Orléansville (Al Asnam), suggère par cette phrase fatidique : «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas ! Enfumez-les à outrance comme des renards.». Instruisant ses subalternes sans ambages, il ne tolérait pas seulement les massacres mais les suggérait de manière péremptoire. Les enfumades, dont il faisait référence, remontaient au 11 juin 1845. Par ce génocide, le colonel Louis Eugène Cavaignac (4) faisait des émules parmi ses pairs. Ainsi, les chefs de régiments et de bataillons s'en donnèrent à cœur joie pour exaucer les recommandations de leur chef suprême. Ne voulant certainement pas être en reste, le colonel Aimable Jean Jacques Pélissier duc de Malakoff, on aura remarqué que le cynique euphémisme du prénom n'aura pas empêché les massacres du Dahra, qu'il dirigera, lui-même, le 18 juin 1845.
Hadj M'hamed El Anka savait-il que le célèbre café qu'il fréquentait tirait sa dénomination de la rue baptisée, jadis, du nom de ce sanguinaire? Tout comme à Dely Brahim, où le duc des Cars ne semble pas avoir quitté le pays. De bien visibles plaques de signalisation indiquent la direction de la pinède qui porte jusqu'à ce jour son nom. Haut lieu de la résistance à l'occupation et premier village de colonisation, Dely Brahim (précédemment haouch Brahim) a fait payer au maréchal de Bourmont son aventurisme en lui ravissant, par la mort au combat, le lieutenant Amédée, son propre fils.(5). Il en est de même pour l'ingénieur du génie du royaume, spécialiste des fortifications, Sébastien de Preste de Vauban qui nous dispute jusqu'à aujourd'hui les hauteurs à Hussein Dey.
Un soldat écrit, à propos du pogrom du Dahra: «Les grottes sont immenses; on a compté 760 cadavres; une soixantaine d'individus seulement sont sortis, aux trois quart morts; quarante n'ont pu survivre; dix sont à l'ambulance, dangereusement malades; les dix derniers, qui peuvent se traîner encore, ont été mis en liberté pour retourner dans leurs tribus; ils n'ont plus qu'à pleurer sur des ruines.» (6) Pour se donner bonne conscience, le sinistre colonel part de cet alibi, le moins qu'en puisse en dire, était des plus fallacieux. «La peau d'un seul de mes tambours avait plus de prix que la vie de tous ces misérables.» Dans leur folie meurtrière, les colonels de salon se passaient la main pour massacrer du Barbaresque. Ils pensaient débarrasser la chrétienté de la «vermine» impie. Le général Armand Jacques Achille Leroy de Saint-Arnaud se construisait un piédestal de gloire en transformant, le 12 août 1845, les grottes de Ténès «en un vaste cimetière», «cinq cents brigands» y furent enterrés. Il n'est nul besoin de dire que les chiffres avancés à l'époque ne pouvaient être qu'en deçà de la réalité. Les massacres perpétrés après l'invasion du pays faisaint chuter les chiffres de la population d'alors de 3.700.000 individus à 2.100.000. La volonté de l'épuration ethnique n'était même pas voilée.
Interpellé par la Chambre des Pairs «indignée» par les enfumades du Dahra, le général Bugeaud eut ces mots lourds de sens pour l'avenir colonial de l'Algérie : «Et moi, je considère que le respect des règles humanitaires fera que la guerre en Afrique risque de se prolonger indéfiniment». A elles seules, les enfumades ont généré des centaines d'Oradour-sur-Glane, où lors de la Seconde Guerre mondiale, une centaine de victimes périrent dans une église. L'épitaphe rappelle pour le souvenir : «Afin que nul n'oublie». Quant à M. Kouchner, tout comme Ben Gourion, il attend que les vieux disparaissent pour que les jeunes oublient.
Un siècle après les enfumades, presque jour pour jour, on remet çà à Sétif, Kherrata et Guelma. Charles de Gaulle qui venait, avec l'aide des Alliés, de libérer la France des griffes du nazisme, fait donner de la grenaille aux «loqueteux» qui ont osé réclamer une part de la liberté chèrement reconquise par l'humanité. Le général Raymond Duval, chargé de la sale besogne, pilonne la région de Sétif par deux croiseurs qui mouillaient dans la baie de Bougie (Bejaia). Huit cents obus sont ainsi catapultés sur une armée fantôme. Décidément, depuis de Bourmont, on faisait faire à une armée régulière une guerre à tout un peuple. Les milices, inspirées par leurs prédécesseurs au Dahra, réinventaient la crémation nazie en utilisant les fours à chaux d'Héliopolis pour faire disparaître les cadavres, trop nombreux pour être enterrés. De grandes colonnes de fumée grisâtre montaient au ciel, l'odeur de chair humaine brûlée imprégnait les lieux. Vous pouvez, toujours, glorifier votre colonisation, M. Lemée, mais rien n'y fera, vous resterez toujours honnis par l'Histoire. Votre sublimation des bienfaits du colonialisme a fait, à jamais, long feu.
Ref/documentaires:
(1) La Tribune on line du 23 /6/201 «Emeutes de Sidi Salem».
(2) Le Monde.fr du 25 /6/2010 «Seine-Saint- Denis: Un journaliste aurait été giflé par l'escorte de Sarkozy.
(3) «Site commando Guillaume» 3e Régiment parachutiste d'infanterie de marine.
(4) Cavaignac :ce triste sire prête toujours son nom à une pharmacie d'Alger-centre en dépit de la rebaptisation déjà lointaine de la rue.
(5) http://alger-roi.fr/alger/dely_ibrahim
(6) Wikipédia - «Enfumades du Dahra»


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