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Il ne faut pas demander la lune
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 25 - 08 - 2010

Comme à l'accoutumée, il lit ses journaux en cette fin d'après-midi d'une journée de Ramadhan. Cette lecture quotidienne après le retour du travail et en attendant la rupture du jeûne, l'aide à patienter.
Il lit avec application et ne néglige pratiquement aucun article contrairement à sa pratique, hors de ce mois, où il se contente de parcourir en oblique de nombreuses pages, n'accordant d'intérêt qu'aux plumes qu'il apprécie et dont il attend, beaucoup plus des formulations savoureuses et de ravissantes tournures qu'une information qu'il a d'autres moyens d'acquérir vite et plus tôt. Il a pratiquement terminé sa revue de la presse quotidienne quand son attention est retenue par un entrefilet consacré à la Lune.
Il rapporte l'information, selon la NASA, que le satellite de la terre rétrécit par refroidissement interne et que sa circonférence s'est contractée, récemment, d'une centaine de mètres environ.
A peine arrivé au bout de l'article, il a déjà l'esprit ailleurs. Ses pensées vont vers l'épopée vécue par les hommes un certain 21 Juillet 1969.
La réalité venait, alors, de rejoindre la fiction décrite par Jules Verne en 1865 dans « De la Terre à la Lune» et plus tard par Hergé dans ses bandes dessinées en 1953 et 1954.
Neil Armstrong faisait le grand pas de l'Humanité dans la conquête scientifique et, avec Buzz Aldrin, plantait le drapeau Américain sur le sol Lunaire.
Les hommes venaient d'atteindre physiquement la Lune et de transformer l'essai de 1959, quand le premier engin Soviétique, Luna 2, s'y écrasa.
Ce jour là, il revenait de la grande ville où il venait de s'inscrire à l'Université. Il rejoignait le domicile parentale dans un bidonville, hérité de la période coloniale, où se sont regroupés les paysans des environs, chassés par le harcèlement quotidien des avions « jaunes ». La demeure familiale trônait au centre d'un ensemble informe de maisons édifiées avec des matériaux hétéroclites, serrées les unes contre les autres autour de sentier étroits et poussiéreux et sans aucune commodité.
Le quartier cachait toute la misère d'un pays à peine sorti des ténèbres coloniales ,mais couvait, aussi, une dense ignorance exploitée, déjà, par les rentiers de la foi qui y trouvait une source intarissable de revenus.
Il était, en cette année, l'un des très rares bacheliers de la petite bourgade et le seul du gros bidonville.
Il se savait privilégié et plaignait secrètement tous ses habitants qui ne pouvaient se douter du bonheur que peut procurer le savoir, même dans ses balbutiements.
Tous les voisin le respectaient et beaucoup l'admiraient même. Il le leur rendait bien en les aidant dans leur démarches administratives et en leur prêtant, avec grâce, sa plume pour toute missive personnelle ou officielle. Ses avis étaient sollicités, pratiquement sur tout, même sur certains remèdes et il s'en sortait avec beaucoup de patience et de tact. Il essayait dans toutes les situations de s'en tenir aux règles du bon sens et de la rationalité auxquelles il s'est tant abreuvé durant ses études jusqu'alors.
Ses conseils étaient généralement appréciés et beaucoup de gens lui témoignaient, parfois avec ostentation, leur satisfaction de l'avoir consulté.
Son plus grand fan, était le vieux commerçant originaire du Sud, établi dans une pièce de leur maison ouverte sur l'extérieur et mise à sa disposition par le père pour un modique loyer.
Le vieil homme dont la curiosité naturelle a été fortement aiguisée par sa profession, aimait s'entretenir avec lui et à chaque occasion lui posait moult questions sur tous les progrès des hommes en sciences et en techniques.
Ce jour là, comme à chaque fois qu'il venait chez lui, il s'arrêta pour le saluer et le surprit en pleine discussion avec trois clients. Il reconnut, parmi eux, le Taleb du coin qui gesticulait et bavait les yeux exorbités comme s'il se défendait contre un assaut du diable. A son arrivée, le visage du commerçant s'illumina d'un large sourire et s'adressant à ses interlocuteurs il leur proposa d'écouter l'avis du jeune bachelier qui vient de rejoindre la Faculté, sur le sujet qui les oppose.
Evidemment, la question portait sur l'alunissage ou, pour utiliser une expression plus académique, l'atterrissage sur le sol Lunaire d'un engin spatial habité par les hommes. Le commerçant soutenait, seul, la réalité de l'événement, face aux trois négateurs menés par le Taleb imbu de sa science et convaincu qu'un tel exploit ne peut être de l'ordre humain. Seuls les créatures célestes peuplent les cieux et peuvent s'y mouvoir par la volonté de Dieu.
Les hommes, selon lui, se sont posés sur le plus haut sommet de la terre et, dans leur immense naïveté, pensent avoir atteint la Lune. Ainsi l'homme de religion tente de mettre l'acte des hommes en concurrence avec la puissance divine pour se rallier des croyants naïfs et crédules qui croient, en toute sincérité, défendre leur foi agressée. La manœuvre réussit toujours et le débat déplacé de sa véritable sphère ne se déroule plus entre des hommes mais entre des « blasphémateurs » et de courageux défenseurs de la Foi. Le combat est, dans ses conditions, perdu avant d'être engagé.
Mais, cette attitude que peut expliquer l'époque, l'ignorance et la misère est désarmante quand on la rencontre, aujourd'hui en ce début du troisième millénaire.
A l'occasion du quarantième anniversaire du débarquement Lunaire, le 21 Juillet 2009, le Daily Telegraph a publié les résultats d'un sondage d'opinion sur Apollo XI, un Britannique sur quatre pense que c'est un gag et que les hommes n'ont jamais mis les pieds sur la Lune.
En 1969 déjà, des détracteurs n'ont pas manqué de jeter le doute sur l'événement et, s'appuyant sur les défauts que présentaient les images diffusés par la télévision et sur le mouvement du drapeau agité par une brise improbable sur la Lune, ont conclu à la mise en scène. Les réponses scientifiques expliquant les anomalies de luminosité par la surface réfléchissante de la Lune et l'ondoyance du drapeau par la force de l'inertie lors de son déploiement ne les ont pas fait démordre.
Le rédacteur en chef Dickon Ross commenta la situation avec beaucoup de tristesse : « l'atterrissage d'Apollo fut la manifestation la plus remarquable du génie humain.
Il est par conséquent profondément regrettable qu'un si grand nombre de gens puissent penser que la première marche sur la Lune n'a jamais eu lieu et que l'adhésion du public envers la légitimité de la science et de la technique semble décliner au fil du temps ».
En cette journée historique du 21 Juillet 1969, face à la crédulité des regards posés sur lui, il sût qu'aucun argument ne résisterait au piège qu'avait noué le Taleb avant même l'entame de toute discussion. Ce n'était pas le jour de la raison, il se contenta alors de rappeler à l'assistance que Dieu a doté l'homme d'intelligence et que le véritable blasphème serait de renoncer à en tirer profit et il s'empressa de renter chez lui.
Le soir, suffocant dans le petit réduit qui lui était réservé dans la demeure familiale, il prit le fin matelas traditionnel qui lui servait de couche et s'installa, dans la cour, sous les étoiles.
Sa mère, l'ayant vu faire, l'interpella à haute voix pour lui déconseiller de dormir sous la Lune. Une Lune que les hommes venaient à peine de fouler. Le lendemain sur le chemin du centre ville, il entendit une musique que diffusait un disquaire du coin et la chanteuse de Raï qui se plaignait que son bien-aimé tarde à rentrer alors qu'Apollo avait vite fait de revenir de la Lune. Ainsi, la chanteuse admettait la prouesse scientifique ; comme quoi l'Amour ne rend pas toujours aveugle.


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