Impossible de ne pas s'intéresser au «déballage» des documents diplomatiques américains organisé par WikiLeaks. Les journaux du monde entier sont en effet friands de ce que les diplomates américains ont dit de leurs dirigeants dans des mots crus et sans fard. Et quand même Amnesty International apporte un peu de son onction en estimant que WikiLeaks a tenu compte de ses critiques au sujet de la mise en danger des personnes, les sceptiques et soupçonneux feraient figure de rabat-joie. Comment des documents officiels d'un Etat disposant des plus puissants services de renseignements au monde ont pu être fuités ? Cela n'est pas une question secondaire et elle ne semble pas beaucoup intéresser les médias occidentaux. Les sceptiques vont immanquablement être accusés d'être des adeptes de la théorie du complot, et de ne pas être capables de croire qu'il puisse exister, au sein de l'administration américaine, des citoyens animés d'un sens civique mondialiste qui les pousse à mettre ces documents à disposition de monsieur Tout-le-Monde. Et l'on vous fait remarquer que cette fois-ci, WikiLeaks s'est entièrement associé à quelques journaux pour filtrer les documents et éviter les mises en danger des personnes. Mais le scepticisme, comme la terre de Copernic, continue de tourner. Comment peut-il en être autrement quand Mme Hillary Clinton, victime présumée de ce «grand déballage» qu'elle qualifie d'«attaque contre la communauté internationale», le transforme en preuve que « les craintes concernant l'Iran sont fondées et largement partagées». Ce n'était donc que cela ! Netanyahu en a tiré les mêmes conclusions en mettant les dirigeants arabes de son côté. Les révélations de WikiLeaks, comme la définition sommaire de la culture, c'est ce qui restera quand on a tout oublié. On oubliera en effet rapidement les appréciations moqueuses, désobligeantes, insultantes ou faussement inquiètes des diplomates américains sur les responsables des autres pays. Par contre, les nombreux médias en guerre contre l'Iran se chargeront de rappeler avec constance que Téhéran a «acquis» des missiles de longue portée de la Corée du Nord, «capables de frapper l'Allemagne», et qu'une guerre de destruction de l'Iran a l'assentiment des dirigeants arabo-musulmans. Ce qui restera, ce sont donc des appréciations de diplomates et généraux américains transformées par la blanchisserie WikiLeaks en «preuve». En Iran, où des savants nucléaires ont été la cible d'attentats, Ahmadinejad a été singulièrement et intelligemment magnanime à l'égard des dirigeants arabes qui souhaitent la guerre contre son pays. Pour lui, les «révélations» de Wikileaks ont un objectif «malveillant» et ont été préparées et diffusées par le gouvernement américain dans le cadre de la guerre médiatique contre son pays. L'angélisme n'étant pas de mise dans les relations internationales, ce que dit le président iranien est une hypothèse très plausible. Le soupçon que les documents de WikiLeaks sont fuités avec l'assentiment de l'administration américaine n'a rien de déraisonnable. Dans un contexte de préparation des opinions à la guerre, on peut comprendre que l'administration ou les maîtres-espions américains acceptent de blesser et de gêner des amis au service du but principal. On ne sera pas surpris si Mme Hillary Clinton, comme son prédécesseur Colin Powell à la veille de l'agression contre l'Irak, se met à brandir les documents de WikiLeaks qui, par un tour de passe-passe, ont cessé d'être ceux de l'administration américaine… et qu'elle nous les présente comme la preuve de la dangerosité nucléaire de l'Iran. Quand la victime présumée du «crime» de WikiLeaks en tire argument contre une tierce partie, cela n'a rien d'anodin. C'est la victime présumée qui profite du crime ! Consommons donc le WikiLeaks, mais ne consommons pas idiot… Et posons-nous la question du «à qui profite le crime», dénoncé officiellement par Mme Clinton.