Le président de la Commission consultative nationale de promotion et de protection des droits de l'homme (CNCPPDH) (instance officiellement rattachée à la présidence de la République), Farouk Ksentini, a plaidé, jeudi, en faveur de la dépénalisation du délit de la presse. « La prison n'est pas faite pour le journaliste et ce dernier n'est pas pour aller en prison», a considéré M. Ksentini qui était l'invité de la radio chaîne 3. Et d'estimer que «si le journaliste diffame ou transgresse la déontologie par écrit ou par des déclarations, il suffit d'une simple amende». Farouk Ksentini a également appelé à «dépénaliser» l'émigration clandestine dans le rapport qu'il remettra au président de la République. «Cette pénalisation est inacceptable puisque ce phénomène est imputable à des raisons sociales. Il faut apporter une solution sociale et pas judiciaire. Nous avons proposé la suppression de la peine d'emprisonnement et son remplacement par une amende symbolique. C'est largement suffisant», a-t-il plaidé. Par ailleurs, l'invité de la radio a révélé qu'«un projet de loi permettant à une personne condamnée par un tribunal criminel de faire appel, sera adopté prochainement». «Cette réforme renforcera le droit à la défense. Nous avons été consultés et nous avons apporté notre soutien», a-t-il expliqué. Invité à commenter l'affaire de la CNAN, relative au navire Béchar qui avait coulé au port d'Alger, avant que la justice ne relaxe les mis en cause après avoir condamné certains d'entre eux à quinze ans de prison, M. Ksentini s'est félicité que la justice ait reconnu son erreur. «Ceci fera date dans les anales judiciaires car de telles erreurs sont extrêmement dangereuses», a-t-il déclaré. M. Ksentini a réclamé l'amendement de la loi de procédure pénale en améliorant les conditions de la garde à vue. «Ces agents de la police doivent comprendre que les violences, même psychologiques, sont une violation de la loi. Les conditions d'hygiène ne sont pas respectées durant la garde à vue. Les cellules sont inappropriées. Tout cela n'est pas compatible avec la dignité humaine. Nous avons signalé ces violations et réclamé des corrections parce que cela est insupportable», a-t-il affirmé. Et de plaider en faveur de la mise en place de garde-fous pour endiguer les abus. «La présence d'un avocat ou d'un magistrat durant la garde à vue est nécessaire pour obliger les agents de police à mieux se conduire avec les personnes gardées à vue», a-t-il dit. Ksentini a aussi réitéré ses dénonciations contre le recours abusif des magistrats à la détention préventive. «La détention préventive ne sert parfois à rien. C'est intolérable. La loi stipule que la détention préventive est une mesure exceptionnelle et réservée aux seules personnes dangereuses ou celles qui récidivent, mais dans la pratique ceci est loin d'être le cas. L'exceptionnel est devenu la règle», a-t-il déploré. Ksentini s'est dit opposé au projet de la loi amendant le texte régissant la profession de l'avocat. «Il ne sert à rien de fragiliser davantage l'avocat», s'est-il positionné. «Si un avocat commet une faute, il devra être traduit devant la commission de discipline mais il ne mérite pas d'être soumis à des sanctions pénales qui sont inadmissibles». «Il faut maintenir la loi actuelle. De toutes les façons, le texte sera amélioré avant d'être adopté», a-t-il estimé. Interpellé sur les violences faites aux femmes, Ksentini a réclamé l'aggravation des peines à l'encontre des coupables. Il a estimé que l'Algérie est pointée du doigt par la communauté internationale sur ce chapitre. Interrogé sur l'abrogation de la peine capitale, il a estimé que «ce n'est qu'une étape. Dans certains pays avancés sur cette question, il a fallu des décennies de luttes pour que la peine de mort soit abolie. Je respecte les points de vue opposés mais j'estime que c'est une question de bon sens», a-t-il soutenu. Répondant à une question sur les personnes détenues en 1992 au sud du pays, dont le nombre est estimé entre 15.000 et 18.000, Ksentini a considéré qu' «une réparation de l'Etat tant pécuniaire que morale est nécessaire. Une personne qui a été déportée vers le Sud a le droit de refuser d'être assimilée à un terroriste». Dans son rapport 2010 qui sera remis au chef de l'Etat avant la fin de l'année, la CNCPPDH a soumis des propositions pour améliorer l'action judiciaire. «Il faut que la justice garde sa crédibilité. Il est important aussi d'avoir une justice de qualité en fournissant plus d'efforts dans la formation des juges et des avocats. La réforme n'a pas encore apporté ses fruits car elle est en cours et elle est perfectible», a-t-il soutenu. Enfin, interrogé sur le maintien de l'état d'urgence, Ksentini a répondu que «ceci restreint certes les libertés, mais la priorité doit être accordée à la sécurité. Dès qu'on arrivera à bout du terrorisme, il sera mis fin à l'état d'urgence».