Ben Ali, c'est fini». C'était, hier, au lendemain d'un discours du président tunisien qui cède sur les libertés et la démocratie mais s'accroche au pouvoir jusqu'en 2014. Il y a deux mois, les promesses de Ben Ali lui auraient valu, malgré 23 ans de dictature, un nouveau regain de popularité et auraient donné un nouveau souffle à son régime. Aujourd'hui, après 70 morts au moins, ces concessions viennent trop tard pour apaiser les Tunisiens. Ils veulent son départ et ne veulent pas s'engager dans une transition démocratique sous sa supervision. Le régime de Ben Ali, à trop regarder les Tunisiens sous le prisme du contrôle politico-policier, a fini par être aveuglé par l'apparence de soumission de la société. Or, les Tunisiens ne faisaient qu'accumuler du ressentiment à l'égard d'un régime qui insulte leur raison et fait peu cas de leur dignité. Il a suffi d'un déclic tragique donné par l'immolation par le feu du jeune Mohamed Bouazizi pour que la Tunisie se rebelle et se lance à l'assaut du système autoritaire. Ben Ali n'a rien vu venir. Il a piteusement accusé ses collaborateurs de l'avoir trompé. Il propose une démocratisation qu'il a systématiquement refusée aux Tunisiens. Il a décidé de «libérer» la presse et de mettre fin à la censure d'Internet. Mais, pour cela, il a fallu attendre que le danger arrive aux alentours du Palais de Carthage. Dans le précédent discours, Ben Ali accusait les contestataires d'être des terroristes montrant ainsi qu'il n'avait pas saisi les signaux violents qui s'allumaient partout à travers le pays. Non, Ben Ali a écouté les messages de quasi-soutien qui lui venaient de Paris. Comme cette incroyable ministre française des Affaires étrangères qui proposait, en réponse à la tragédie qui se déroulait en Tunisie, de transmettre le «savoir-faire» français en matière de répression des manifs à ses anciennes colonies du Maghreb ! A la Tunisie et à l'Algérie pour être précis. Le régime n'a pas capté les bons signaux, il a été aveuglé par les louanges externes qui en font un «rempart» contre l'islamisme. Il a attendu qu'il y ait tant de morts, de souffrances et de destructions pour comprendre que les Tunisiens ne supportaient pas son paternalisme et une corruption astronomique subie par les seuls Tunisiens, les opérateurs occidentaux en étant protégés par leur statut. Si la réponse est juste: démocratie, justice, liberté d'expression, les Tunisiens ne lui font pas confiance pour les mettre en application. Hier à Tunis, au lendemain d'un simulacre de manifestation de soutien organisé par le parti au pouvoir, c'est la Tunisie rebelle qui a débarqué au cœur de la capitale porteuse d'un message clair et net: on se contentera d'eau et de pain, mais nous voulons le départ de Ben Ali. Il y a une transition démocratique à organiser mais manifestement les Tunisiens ne veulent plus supporter que le symbole du régime continue d'occuper le Palais de Carthage jusqu'en 2014. Il y a deux mois, l'offre de Ben Ali aurait été largement acceptée par les Tunisiens et par l'opposition. Aujourd'hui, elle apparaît comme une diversion tant elle arrive trop tard, après des années d'aveuglement et de fausse assurance conférée par l'autoritarisme. Il y a deux mois, il était encore minuit moins cinq pour Ben Ali. Ce n'est plus le cas. C'est un avertissement à tous les régimes de la région. C'est un avertissement au régime algérien qui continue de verrouiller le champ politique. La gestion autoritaire est en définitive la garantie de la surdité politique, une source sûre d'auto-intoxication. Ce qui se passe en Tunisie, où les élites ont montré qu'elles peuvent être à la hauteur, n'est pas improbable en Algérie. Il vaut mieux ouvrir avant d'y être contraint. Les mécaniques des révoltes et des révolutions sont imprévisibles et insondables.