Les Tunisiens ne décolèrent pas. 27 jours après le début des «évènements», ils ne revendiquent plus des postes de travail et une amélioration de leur pouvoir d'achat érodé seulement. A ces deux «attentes» économiques se sont greffés des appels à «toutes les libertés», des dénonciations des faits de corruption, des slogans antigouvernementaux et la démission immédiate du président Zine El Abidine Ben Ali au pouvoir depuis novembre 1987. «On m'a trompé», «je vous ai compris», a martelé à plusieurs reprises par Ben Ali. Le successeur de Habib Bourguiba qui était resté sourd aux revendications sociales qui ont marqué le début de la contestation sociale, il y a près d'un mois, en parlant le 28 décembre d'«instrumentalisation politique» des évènements, s'est engagé jeudi soir, au grand dam de ses «courtisans» qui le sollicitent pour se représenter en 2014, à quitter le pouvoir à l'issue de son mandat et interdire les tirs à balles réelles sur les manifestants. Ce «mea culpa» fait au moment où la communauté internationale se préoccupe de l'aggravation de la situation et où Al-Qaïda appelle les manifestants à la lutte armée, n'a pas suffi pour calmer «toute» la rue tunisienne. Tout comme ses «promesses» de créer une commission indépendante chargée de faire toute la lumière sur les événements «en toute objectivité», de baisser les prix des produites de première nécessité (pain, lait, sucre, etc) et d'accroître le pluralisme politique, la liberté de la presse et d'Internet. Ben Ali serait même disposé à faire deux autres concessions : la formation d'un gouvernement d'union nationale après le limogeage du gouvernement et la tenue des législatives anticipées dans six mois. Mohammed Néjib Chebb du Parti démocratique progressiste et Mustapha Ben Jaafar, du chef du Forum démocratique pour le travail et les libertés, estiment que les deux mesures de Ben Ali pourraient «ouvrir des perspectives» si elles ne restent pas des «promesses sans lendemain». Des milliers de jeunes ont marché hier à Tunis pour réclamer «un gouvernement national», «le départ du président» et la révision de la Constitution qui limite l'âge des candidats à la présidence à 75 ans «pour fixer un maximum de deux mandats au président de la République». Fait nouveau : la police a massivement tiré des grenades lacrymogènes contre eux. Notamment ceux réclamant le départ du pouvoir du président qui, après trois discours à la Nation, depuis le début d'une contestation qui a fait près de 70 morts, n'a pas réussi à ramener le calme. Pis, la situation semble même dégénérer. Des jeunes, pas disposés à laisser Ben Ali se ménager une porte de sortie avant d'avoir le calendrier de mise en œuvre des promesses, ont tenté hier de s'emparer du ministère de l'Intérieur et de la Banque centrale. Plusieurs intellectuels tunisiens suggèrent à Ben Ali de se débarrasser de son entourage s'il veut éviter au pays une déstabilisation. «On a le choix entre un changement réel ou un bain de sang», résume Maya Jribi, du Parti de Néjib Chebb. D'autres citent les heurts en dépit du couvre-feu pour montrer la détermination des manifestants. Salma Belaala, une chercheuse spécialiste du Maghreb, doute de la capacité de Ben Ali de durer jusqu'à la fin de son mandat si la police se rallie à la rue. Dernière mesure : il a décrété l'état d'urgence, le couvre-feu sur tout le pays et autorisation à l'armée et la police de tirer à bout portant sur tout suspect qui refuse d'obéir.