Prudente, frileuse, calculatrice, la diplomatie européenne donne aussi des signes d'affolement face à la colère et la révolte de la rue égyptienne. Qu'en sera-t-il, demain, si la contagion s'étend aux autres pays arabes sous tension ? Les dirigeants des pays de l'Union européenne donnent l'impression d'être dépassés par le vent de révoltes populaires qui secouent les régimes autocratiques arabes. L'Europe campe dans une attitude prudente et calculée. Lundi dernier à Bruxelles, la réunion des ministres des Affaires étrangères, consacrée à l'examen des situations en Tunisie et en Egypte, s'est conclue par un communiqué de circonstances, appelant au «dialogue, à la stabilité et à la paix.» Après son ratage politique dans l'appréciation de la révolution tunisienne, on attendait une réaction ferme contre le régime de Hosni Moubarak en Egypte. Rien n'y a fait, les 27 ministres de l'Union ont, non seulement évité de reconnaître la fin du règne de Moubarak, mais lui ont «suggéré» d'engager, sans délai, des réformes politiques et d'ouvrir le dialogue avec l'opposition et la société civile. » Autrement dit, Moubarak peut rester à la tête du pouvoir et donner une place à l'opposition dans la gestion gouvernementale, alors que la rue égyptienne a prononcé le « divorce » avec le clan Moubarak. Plus qu'une myopie, l'UE est atteinte de paralysie politique et diplomatique. On pensait que l'erreur stratégique commise dans l'appréciation de la révolution tunisienne ne se répétera pas dans le cas égyptien. Rappelons-nous combien l'UE a tardé à saisir toute la profondeur politique du soulèvement tunisien, l'estimant pas plus qu'une énième révolte passagère de la «faim». En comparaison de la lecture américaine, la différence d'appréciation et d'analyse est frappante. Les USA avait envoyé, dès le départ de Ben Ali, leur secrétaire adjoint aux Affaires maghrébine, Jeffrey Feltum, à Tunis, alors que l'UE n'a pas, à ce jour, décidé de nouer le dialogue direct avec le nouveau gouvernement tunisien. Il en a été de même pour le gel des avoirs du clan Benali Trabelssi, puisque ce n'est que ce lundi que l'UE a décidé le gel; soit plus d'une semaine après les Suisses par exemple. S'il est vrai que l'UE peine à construire une politique extérieure commune (comme une politique de défense commune par ailleurs), il n'en reste pas moins qu'elle est le premier partenaire économique des pays arabes avec lesquels elle est liée, non seulement par une série d'accords de partenariat, mais aussi par une stratégie commune d'avenir contenue dans l'Union pour la Méditerranée (UPM). La réunion de lundi a montré, une fois de plus, l'absence d'une stratégie internationale commune pour l'Union. A ce titre, notons qu'au moment où se tenait la réunion de Bruxelles, la chancelière allemande Angéla Merkel, était en visite en Israël, accompagnée de huit de ses ministres pour, au-delà des questions de coopération classique, écouter les Israéliens dans leur «crainte» d'un bouleversement politique en Egypte au profit, notamment, de la mouvance islamiste. S'il n'est pas surprenant que le gouvernement israélien brandisse la menace d'une prise de pouvoir en Egypte par les islamistes, il n'est par contre, pas du tout surprenant qu'Israël souhaite le maintien au pouvoir de Moubarak. Il le qualifie «d'homme de paix et de dialogue». Et nous savons tous combien la paix règne en Palestine et combien les Palestiniens sont écoutés et leurs droits légitimes défendus. Lundi à Bruxelles, l'UE a perdu avec l'affaire tunisienne et surtout celle égyptienne, une occasion de plus « d'harmoniser » sa politique extérieure commune. De joindre des actes concrets aux principes de sa construction en cette conjoncture de mondialisation, ceux de la liberté et de la démocratie pour tous, y compris pour les Arabes.