La Tunisie, plongée dans un climat délétère depuis quelques jours, juste après l'annonce d'un nouveau gouvernement de transition d'où ont été évincés les caciques de l'ancien parti au pouvoir (RCD), panse progressivement ses plaies et pense à l'avenir, même si la contestation populaire ne s'est pas totalement tue. Plusieurs escarmouches ont été signalées ces dernières 48 heures, notamment à Kasserine mardi entre manifestants et forces de l'ordre. Hier mercredi, le gouvernement de transition tentait de normaliser la situation après près de deux mois de manifestations, et, surtout, de rétablir la sécurité en donnant un grand coup de balai dans les hautes sphères de la police, instrumentalisée par le régime de l'ex-président Zine El Abidine Ben Ali. Confrontée à la grogne des Tunisiens, et aux rumeurs d'attaques à main armée, le gouvernement a opéré une véritable purge parmi les hauts gradés de la police tunisienne. Une trentaine de hauts gradés de la police ont été débarqués, un militaire a été nommé à la direction de la sûreté nationale, de nouveaux directeurs ont été placés à la tête de la police dans sept régions clés. L'amiral Ahmed Chabir, nouveau directeur général de la sûreté nationale, a pour mission de relancer une machine sécuritaire noyautée par les tenants de l'ancien régime et de remettre au travail des milliers de policiers qui avaient déserté les rues, par crainte de représailles de la population ou par fidélité au président déchu le mois dernier. Mission difficile dans un pays jusqu'alors dirigé par la police (100.000 hommes), alors que l'armée ne compte que 30.000 soldats. Mardi soir, à la télévision, le nouveau ministre de l'Intérieur Farhat Rajhi a livré un incroyable témoignage sur les forces puissantes qui seraient encore à l'œuvre au cœur de l'Etat. «Lundi soir, entre 2.000 et 3.000 personnes ont attaqué mon ministère. Grâce au général Rachid Ammar (figure de l'armée qui a promis d'être le garant de la révolution, ndlr) et aux forces antiterroristes, j'ai pu m'enfuir, mais on m'a volé mon manteau, mes lunettes et mon téléphone portable», a raconté le ministre. «Cinquante envahisseurs, dont plusieurs étaient armés, ont été arrêtés avant d'être relâchés, ce qui montre une défaillance sécuritaire et une complicité entre les agresseurs et les services d'ordre», a affirmé Farhat Rajhi, dénonçant un «complot contre l'Etat». A l'issue d'un conseil des ministres mardi, l'équipe de transition a donné des gages de fermeté aux Tunisiens mais aussi aux partenaires internationaux. Plus concrètement, il a annoncé une augmentation des salaires des policiers, favorisant - une première en 23 ans - les cadres moyens, qui ont obtenu 140 dinars (72 euros) contre 49 pour les cadres supérieurs. Le couvre-feu, en vigueur depuis le 13 janvier, a été maintenu, un numéro vert créé pour recueillir les plaintes des victimes de violences, et chaque citoyen appelé à la responsabilité pour «le bien de la nation». Même les prisonniers, dont 9.500 se sont évadés pendant des émeutes en janvier, sont appelés «à rejoindre leur maison d'arrêt pour régulariser leur situation», indique un encart dans la presse. Et, sur le front des droits de l'homme, la Tunisie a fait un pas de géant après l'approbation par le gouvernement de transition de plusieurs protocoles et accords internationaux. Le gouvernement de Mohamed Ghannouchi «a approuvé l'adhésion de la Tunisie à plusieurs conventions internationales importantes: convention internationale sur la protection des personnes contre les disparitions forcées, Statut de Rome portant sur la Cour pénale internationale (CPI), protocole non obligatoire annexé à la convention internationale contre la torture, et les protocoles non obligatoires annexés au Pacte international relatif aux droits civils et politiques», a indiqué le porte-parole du gouvernement. Le gouvernement de transition a également annoncé qu'il allait «étudier» des «réserves» émises par la Tunisie du temps du président Ben Ali sur d'autres conventions internationales concernant notamment la peine de mort, l'enfance, et l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Par ailleurs, l'ancien ministre tunisien de l'Intérieur Rafik Belhaj Kacem, limogé le 12 janvier dernier, a été placé en garde à vue. Il est accusé d'avoir autorisé la police à tirer sur les manifestants, dont le nombre de victimes est de 219 morts et 510 blessés, selon l'ONU. Mercredi, le président de la communauté juive de Tunisie, Roger Bismuth, a affirmé qu'aucun acte antisémite n'avait été signalé en Tunisie depuis le début de la révolution populaire, mettant en garde contre les rumeurs ayant fait état mardi de l'incendie d'une synagogue. «A aucun moment, les juifs n'ont été visés par des attaques ou même des paroles déplacées au cours de la révolution. C'est une révolution tunisienne, qui concerne tous les Tunisiens», a déclaré Roger Bismuth. «Lundi soir, plusieurs bâtiments de la région de Gabes ont été la cible de saccages et la guérite du gardien du mausolée a été vandalisée et quelques chaises emportées», a-t-il poursuivi. Alliot-Marie dans de sales draps D'autre part, la ministre française des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, est au cœur d'un nouveau scandale politique qui éclabousse l'équipe de Sarkozy. Après sa bourde devant les députés à qui elle a proposé de soutenir «le régime de Ben Ali» en pleines manifestations de protestation, elle est maintenant accusée d'avoir profité des largesses d'un proche du régime Ben Ali. Hier, pointée du doigt par la presse et la classe politique, elle s'est défendue en récusant ces «mensonges» du Canard enchaîné, qui affirme qu'elle a voyagé dans un avion appartenant à un proche du clan Ben Ali, et assuré qu'elle ne démissionnerait pas sur de «fausses» accusations. «Pour des choses qui sont fausses, pour des assertions, non, pas du tout», a répondu Mme Alliot-Marie à la presse qui lui demandait, à la sortie du Conseil des ministres, si elle envisageait de démissionner comme le réclame l'opposition de gauche. Le Canard enchaîné révèle que Mme Alliot-Marie et son conjoint, le ministre des Relations avec le Parlement Patrick Ollier, ont utilisé entre Noël et le Jour de l'An un jet privé pour aller de Tunis à Tabarka. Ce voyage est intervenu alors que la révolte tunisienne avait commencé quelque deux semaines auparavant. L'hebdomadaire satirique présente Aziz Miled, le propriétaire de l'avion et de l'hôtel où a séjourné le couple Ollier/Alliot-Marie, comme un proche de Belhassen Trabelsi, beau-frère de l'ex-président Zine El Abidine Ben Ali.