L'affaire du Rhumafed, au-delà des accusations de complot, montre que les entreprises algériennes doivent apprendre à gérer le risque médiatique. Il n'y a de grand secret dans ce domaine: il faut être réactif et transparent. C'est, semble-t-il, ce qui a fait défaut dans cette affaire. Le ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, Djamel Ould Abbès, a dénoncé dimanche à Alger, une campagne menée par «certaines parties» contre le groupe pharmaceutique public Saidal, après l'erreur d'étiquetage signalée sur un lot de l'un de ses produits, à savoir le médicament antigrippal Rhumafed. «Profitant d'une erreur d'étiquetage sur le médicament Rhumafed, certaines parties ont voulu nuire à l'image de Saidal, fleuron de l'industrie pharmaceutique nationale», a déclaré M. Ould Abbès lors d'une conférence de presse organisée par Saidal à cet effet. C'est la quintessence de l'information officielle relative à l'affaire Rhumafed». Elle révèle d'autres aspects liés au management de l'entreprise et à sa tutelle. L'animation de la conférence de presse par le ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, Djamel Ould Abbès, révèle l'emprise du gouvernement sur ce groupe pharmaceutique public, côté à la Bourse d'Alger. On pouvait penser que la tutelle ministérielle avait laissé place aux organes statutaires de l'entreprise. L'affaire «Rhumafed» semble bien démontrer que le cordon ombilical a résisté à la logique d'entreprise. Le Pdg Boumediène Derkaoui a révélé que «son groupe avait alerté le gouvernement sur cette affaire le 20 janvier dernier.» On imagine que si le silence a été observé autour de cette affaire, c'est qu'il résulte de consultations avec la «tutelle». Celle-ci, incarnée par l'Etat, détient bien 80% des actions de Saidal, mais est-ce une raison suffisante pour influencer et agir sur la gestion quotidienne de l'entreprise ? Boumediène Derkaoui, dont le parcours exemplaire commence à l'ENIE avant de devenir haut fonctionnaire de l'Etat, se plie à cette «discipline d'Etat». En tous cas, il ne semble guère avoir de marge même si les autres actionnaires - 20% - peuvent interpeller les organes statutaires sur la manière dont a été gérée cette affaire. Le ministre de la Santé, tutelle administrative et politique, lui, ne sera pas concerné. L'image éclaboussée Introduit en Bourse depuis juillet 1999, le groupe Saïdal est une société par actions au capital de 2,5 milliards de dinars qui fabrique et distribue 155 produits traitant de la quasi-totalité des pathologies dominantes en Algérie. Connu en Algérie et à l'étranger, Saïdal a une image à préserver a fortiori dans un contexte compétitif. Cette image ne s'est pas forgée juste par l'accessibilité de ses prix de vente, mais aussi et surtout par l'efficacité de ses médicaments face à des produits fabriqués par des laboratoires de vieille renommée internationale. Cette affaire «Rhumafed», même si on veut la minimiser, éclabousse l'image de Saïdal. Si le producteur avait communiqué tout de suite, au lieu de subir la réaction du public dans des conditions alarmistes, un mois après les faits, la situation aurait certainement était moins nocive, au plan de l'image. Ses effets sur le public auraient été moindres. Quelle que soit l'emprise de la tutelle sur cette société pharmaceutique, cette affaire «d'erreur d'étiquetage» sur un médicament était porteuse d'un risque médiatique. A-t-on oublié que l'étiquette porte l'image du fabricant ? Qu'il s'agit d'un produit destiné à un client ? Que le client doit être respecté, choyé Peut importe que l'erreur porte sur 500 ou 10 000 boîtes, localisées (centre de distribution de Batna). On ignore la motivation réelle du «SMS» très alarmiste qui a été diffusé à grande échelle, notamment dans la soirée du 18 février dernier. Il disait : «Ne prenez pas Rhumafed. Danger de mort. Erreur de fabrication par Saidal. Il y a eu des morts ». Pas d'importation d'un produit de substitution à Rhumafed En définitive, et heureusement, personne n'est mort en prenant ce médicament. M.Derkaoui a précisé que seules 500 boîtes, sur un lot de 10 000 unités, étaient concernées par cette erreur d'étiquetage. Même s'il n'a pas précisé comment pouvait-on techniquement commettre une telle gaffe en épargnant les 9 500 autres boîtes, il n'y a pas de raison de ne pas le croire sur parole. Mais, l'effet médiatique a profité aux concurrents. De bonne guerre, si bien sûr il ne s'agit pas d'un «complot ourdi» par ces mêmes concurrents. Saidal paie, en tous cas, la sous évaluation de la communication externe surtout que le Rhumafed est considéré comme un «produit phare» de l'entreprise. Dans le domaine sensible du médicament, les experts recommandent de ne pas prendre la chose à la légère. Dès que l'erreur est découverte par le public, c'est une mauvaise publicité qui devient une bonne publicité pour le concurrent. La convocation du patriotisme pour sauver la mise ne fonctionne pas. Surtout quand il s'agit de la santé des personnes. La preuve : cette affaire n'a heureusement pas fait de victime, mais plusieurs titres locaux ont légitimement pointé du doigt le fleuron de l'industrie pharmaceutique nationale en estimant qu'il y a eu «manque de rigueur dans la gestion des procédures internes de contrôle et de vérification». La tutelle qui a dû, au moins, donner son feu vert pour passer sous silence cette affaire, est moralement coresponsable. Saidal a failli en matière de communication. Mais, les concurrents présumés comploteurs ne pourront pas tirer avantage de cette situation. La tutelle a décidé : «tout produit similaire sera interdit d'importation». Elle a recommandé à Saidal de déposer plainte pour essayer de débusquer les éventuels concurrents déloyaux. A suivre.