A ceux ayant posé le préalable d'une négociation sans exclusive entre toutes les forces politiques et sociales agissantes dans le pays sur la nature des réformes à entreprendre pour sortir l'Algérie de la crise politique dans laquelle elle se débat, Bouteflika n'a pas opposé de fin de non-recevoir au principe d'une concertation. Sauf qu'il a lui seul fixé les cadres dans lesquels elle devra se dérouler et les limites qui seront les siennes. Cadres et limites ont été balisés de telle sorte que ce qui sortira de cette concertation n'aura aucunement force contraignante ou exécutoire pour lui dans l'élaboration des réformes envisagées. C'est ainsi que pour la révision de la Constitution, les amendements qui vont être apportés aux lois électorale et sur les partis et ceux concernant les codes de wilaya et de l'information, la concertation prévue par Bouteflika se limitera à la collation, sous l'autorité du président du Sénat, Abdelkader Bensalah, des propositions que les partis et personnalités nationales ayant accepté de le rencontrer lui soumettront. Officiellement donc, il ne s'agit nullement d'un débat contradictoire et encore moins d'une contribution à la définition finale des contenus de la révision constitutionnelle et des nouveaux codes projetés. Sachant qu'une telle démarche ne va pas susciter l'engouement et encore moins l'adhésion de forces dont il ne peut ignorer la capacité à jeter le discrédit sur elle, Bouteflika a pris l'initiative d'une autre forme de consultation. Celle dont il a confié l'organisation et la conduite au président du Conseil national économique et social (CNES), Mohamed Seghir Babès. A en croire ce dernier, il va s'agir d'un grand débat national auquel seront conviés «les associations agréées, les acteurs issus de la société civile émergente, c'est-à-dire celle qui a dit son mot ces derniers mois, celle avec qui le gouvernement négocie ces derniers temps». En somme, des «états généraux de la société civile», excluant les partis politiques qui, en tant que tels, se contenteront de la rencontre avec Abdelkader Bensalah. Un forum qui verrait la «société civile» s'exprimer sur les problèmes auxquels le pays est confronté n'est pas à récuser dans le principe. Ce type d'initiative a été proposé à chaque fois que de grandes questions d'ordre politique, économique ou social ont fait débat dans le pays et fait apparaître de profondes divergences sur les solutions à apporter pour leurs résolutions. Que le pouvoir ait décidé enfin d'entendre la «société civile» n'est pas pour susciter de rejet automatique. Faut-il tout de même que ce pouvoir fasse la preuve que son initiative ne cache pas le calcul de vouloir opposer la «société civile» à la classe politique, dont les constituants les plus agissants refusent le mode opératoire et le processus retenus par le pouvoir pour faire du changement et des réformes dans le pays. Se posent de ce fait les questions de savoir sur quoi il va être débattu dans ce forum annoncé, qui vont être invités, sur quels critères ils le seront, et enfin que sera la finalité de ses conclusions et propositions ? Le soupçon légitime qui entoure ces «états généraux de la société civile» est que cela tourne à la grande kermesse laudative du pouvoir. Il ne fait aucun doute que le pouvoir est en quête de manifestations démontrant qu'il bénéficie du soutien et de l'adhésion populaires. Quoi de plus spectaculairement parlant de ce point de vue que la caution que pourrait lui délivrer «une société civile» qui, vue de l'étranger, serait plus représentative des attentes populaires algériennes que les formations politiques partisanes ? Le soupçon est d'autant d'actualité que le pouvoir a dit pis que prendre de cette «société civile» dont il s'est gaussé sur l'existence et la représentativité. L'instauration d'un dialogue social entre le pouvoir et les acteurs ayant quelque chose à apporter en la matière serait un bon pas dans la bonne direction de l'ouverture que promet ce dernier. Pour peu que les dés ne soient pas pipés et que l'intention de ce pouvoir n'est pas de réaliser une opération dont le seul but est de le montrer à l'opinion internationale comme à l'écoute de sa société et agissant dans la bonne direction pour tenir compte de ce qu'elle dit et veut.