Le printemps des révoltes arabes tirerait-il à sa fin ? La question peut paraître choquante, mais certains la posent. Pour eux, la très brutale répression des manifestations en Syrie comme au Bahreïn, trop souvent oublié par les médias, le blocage au Yémen et l'intervention étrangère en Libye ont ralenti l'élan donné par les révoltes en Tunisie et en Egypte. La parenthèse ouverte par le suicide de Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010 se serait refermée avec le départ du raïs Moubarak le 11 février 2011. Le reste ne serait que des répliques plus ou moins puissantes d'un séisme dont la magnitude a culminé sur la place Tahrir au Caire. Il est cependant trop tôt pour affirmer que le mouvement de l'Histoire s'est achevé. Il faut prendre acte de l'évolution perceptible dans les opinions arabes après la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU et l'intervention militaire occidentale en Libye. Avec une question grave en forme de dilemme : le renversement de régimes autoritaires et bloqués doit-il s'accommoder d'un risque, sérieux, de perte de souveraineté ? A la différence des révolutions tunisienne et égyptienne qui se sont faites sans l'appui - au contraire - de l'étranger, les événements en Libye sont en train de servir de repoussoir et suscitent le doute. L'Otan y contribue, elle qui a décidé d'élargir considérablement la notion de «cible militaire» en Libye. Certains constatent aussi que le souci de «sauver les civils libyens» ne s'est pas étendu aux migrants civils en perdition en haute mer. Les opinions arabes, sans accorder le moindre crédit aux dictatures en place à Tripoli ou à Damas, sont devenues circonspectes en dépit des efforts remarquables de la chaîne Al-Jazira. Contrairement aux médias «engagés», ces opinions n'occultent pas le fait que les fortes contestations qui s'expriment contre les régimes à Tripoli ou à Damas suscitent également des réflexes de soutien au régime chez une autre partie de la population. Et que dans une telle configuration, l'intervention étrangère ne fait que renforcer la tendance vers les guerres civiles dont les ingrédients sont en place. Il est utile de noter que dans les révolutions en Tunisie et en Egypte, les Occidentaux ont été des «spectateurs» et beaucoup ne sont pas loin de penser que cela a été salutaire pour les Tunisiens et les Egyptiens. En Tunisie ou en Egypte, le soulèvement de la population a été généralisé et a concerné tous les centres urbains et ruraux dans toutes les régions. Sans nier l'importance des mouvements en cours dans d'autres pays, il est patent que l'on n'est pas dans cette configuration. Les analystes ne craignent plus de se faire étriller comme «pro-dictateurs» en posant la question «scandaleuse» de savoir si les conditions sont réunies dans ces pays pour renvoyer les équipes dirigeantes par la seule force des manifestations. D'un autre côté, les populations, moins disposées aux éruptions «spontanées» qu'on voudrait leur faire croire, observent avec attention le développement des situations au Caire et à Tunis. Jusqu'où ira le deal implicite passé entre les armées et les sociétés ? Le renversement des despotes a été permis par le refus des armées de s'impliquer dans une répression brutale comme celle en cours dans certaines villes syriennes. Jusqu'où ira ce contrat ? La réponse dépendra de la détermination des parties en présence. Mais il faut prendre acte des changements salutaires qui ont déjà eu lieu : la parole a été libérée et la peur de la répression s'est envolée. La contagion démocratique est un phénomène on ne peut plus naturel, tout comme il est naturel que les peuples arabes aspirent à vivre librement et veulent choisir leurs représentants. Si l'aventure militaire de l'Otan en Libye a assombri la situation - et suscité le doute -, il serait trompeur de considérer que la fracture inaugurale de Sidi-Bouzid se serait estompée. Le printemps arabe est encore à venir.