Sans surprise, l'AKP, parti issu de la mouvance islamiste dirigé par RecepErdogan, s'est assuré une troisième législature consécutive en remportant très nettement les élections législatives. La victoire est indiscutable mais l'AKP n'a pas réussi à obtenir la majorité des deux tiers au Parlement pour modifier, sans avoir à consulter l'opposition, la constitution du pays en vigueur depuis 1980. Recep Erdogan, leader charismatique du parti et Premier ministre respecté, souligne à juste titre l'ampleur de la victoire mais reconnaît qu'il faudra des compromis avec une partie de l'opposition pour obtenir la majorité qualifiée, préalable à toute révision constitutionnelle. Ces élections ont montré une progression du parti en terme de voix, mais l'AKP a perdu des sièges du fait du système électoral et n'a pas atteint le chiffre fatidique des 330 sièges au Parlement. Le parti islamiste a obtenu 326 sièges contre 341 lors de la précédente consultation. Arrivé en seconde position, le Parti républicain du peuple (CHP), avec 25,9% des voix et 135 sièges, enregistre une progression de 5%. La formation dirigée par Kemal Kilicdaroglu n'a pas réussi son pari malgré une modernisation de son programme et le soutien des Occidentaux. Deux autres partis tirent leur épingle du jeu. Le MHP (droite nationaliste), dont certains dirigeants ont été récemment éclaboussés par un scandale de mœurs, recule mais atteint malgré tout 13% des suffrages, au-dessus du seuil de 10% nécessaire pour obtenir des sièges. Le parti kurde (DTP), auquel se sont ralliés des candidats indépendants, gagne 10 sièges et envoie 36 députés au Parlement. «Le peuple... nous a adressé le message que la nouvelle constitution doit se faire par le compromis, la consultation et la négociation», a déclaré M. Erdogan dans un discours célébrant sa victoire. «Nous ne fermerons pas nos portes, nous irons vers l'opposition», a-t-il précisé. L'ouverture vers l'opposition doit être cependant relativisée : il ne manque que cinq sièges à l'AKP pour engager le processus de modification du texte fondamental hérité du coup d'Etat militaire de 1980. La victoire triomphale de l'AKP exprime la reconnaissance des populations qui voient dans le parti islamiste l'architecte de la prospérité économique et du retour de la Turquie sur la scène internationale. Longtemps homme malade de l'Europe, en proie à des convulsions brutales et à une gestion économique catastrophique, la Turquie est aujourd'hui un pays émergent où l'inflation, hier encore plaie ouverte de l'économie du pays, ne constitue plus un sujet de préoccupation. La croissance soutenue a littéralement transformé le pays et le revenu par tête a plus que triplé en moins d'une décennie. Le dynamisme turc contraste fortement avec le marasme européen et la régression arabe. Au plan international, la voix de la Turquie porte bien au-delà de la région, où Ankara joue désormais un rôle crucial. Ces réalisations sont à porter au crédit d'un parti qui a su actualiser son idéologie et démontrer de manière éclatante que l'islam politique et la démocratie ne sont pas incompatibles. La modernisation de la constitution, objectif politique premier de la troisième législature de l'AKP, est un enjeu capital pour la consolidation de la démocratie et la rupture définitive avec l'ère des coups d'Etat militaires et des tentations autoritaires. A tous égards, le succès de la Turquie est une référence puissante pour les peuples de la région et, n'en déplaise aux derniers défenseurs des dictatures, la preuve indiscutable de la supériorité de la démocratie.