Le général Abdel-Fattah Younès a été assassiné à quarante kilomètres de Benghazi dans ce qui semble clairement être un traquenard. Les conditions de cette exécution rendent peu plausible la thèse qui veut que ce soit le colonel Mouammar Kadhafi qui aurait liquidé le chef militaire de la rébellion. Il ne fait guère de doute que le colonel n'aurait pas hésité, s'il en avait eu la possibilité, de liquider ce vieux compagnon de route qui a fait avec lui la «révolution du Fatah». Son ralliement, alors qu'il exerçait les fonctions de ministre de l'Intérieur, à la rébellion de Benghazi a été un coup dur pour Kadhafi qui l'a perçu comme une félonie. Mais si le guide libyen avait des raisons de vouloir liquider Younès, cela n'en fait pas automatiquement l'auteur. L'embarras avec lequel le chef du CNT, M. Mustapha Abdeljalil, ex-ministre de la Justice dans le régime de la «grande Jamahiriya», a annoncé la mort du chef de l'armée rebelle était suffisamment éloquent. Le général Abdel-Fattah Younès était accusé depuis quelque temps de dialoguer en sous-main avec le régime de Tripoli. Il était de retour de la ligne de front vers Benghazi à la suite, affirme Abdeljalil, de «sa convocation devant une commission judiciaire enquêtant sur des questions militaires». Il est difficile de croire que la mort du chef de l'armée rebelle soit le fait d'un pur hasard dû à une rencontre inattendue avec des éléments de l'armée gouvernementale libyenne. Tout indique au contraire que l'attentat a été organisé par des gens qui étaient informés que le général Younès devait se rendre à Benghazi pour rendre des comptes à une commission du CNT. En terme de probabilités, c'est l'hypothèse la plus forte : l'attentat a été organisé de «l'intérieur» de la rébellion, à Benghazi. Il reste à savoir pourquoi. Il faut se rappeler qu'après son ralliement à la rébellion, le général Younès a dû ferrailler avec d'autres prétendants pour avoir la haute main sur le volet militaire. Il avait en définitive réussi à devenir le «ministre de la Défense» de la rébellion. Mais son statut a-t-il été accepté par toute la rébellion, dont la composition reste floue ? On peut désormais émettre quelques doutes. On ne sait pas si réellement Younès négociait avec le régime de Tripoli ou non Mais les rumeurs sur ces négociations ont dû susciter des alarmes au sein d'une partie de la rébellion. Dans des conditions troubles ou de fin de règne, celui qui négocie avec la partie adverse a déjà un pied dans le futur pouvoir. Ce n'est pas une règle d'airain, mais cela dépend de la perception que les acteurs s'en font. Or, si des forces non liées au régime, et notamment islamistes, sont dans la rébellion, ce qui transparaît le plus est que le «pouvoir» à Benghazi est surtout le fait d'anciens responsables et acteurs du régime. C'est ce qui fait dire à beaucoup que la rébellion est dirigée par un clan du régime qui agit, non pour changer le régime, mais pour remettre en cause l'emprise de la famille Kadhafi. Les rumeurs d'une négociation entre Younès et le gouvernement ont-elles fait craindre à d'autres acteurs de la rébellion un arrangement qui les mettrait sur le carreau ? C'est une hypothèse plausible, d'autant que les Occidentaux, l'autre acteur important du conflit libyen, préfèrent traiter avec leurs vieilles connaissances au sein du régime et qui se sont juste (dé)placées à Benghazi. La liquidation du général Younès reste mystérieuse et il n'est pas certain que ses secrets en seront connus un jour. C'est une mort trouble dans une rébellion trouble, en un pays fortement perturbé par des décennies de kadhafisme délirant.