Lynchage, justice, punition de Dieu, exécution ? Les Algériens avaient du mal à juger du sort réservé par les rebelles du CNT au roi des rois de l'Afrique. Pourtant, la bonne question était « avons-nous à juger, nous, assis de ce côté-ci de nos télévisions, de la façon dont a été tué le fou de Tripoli ? ». De quel droit ? Celui du panarabisme assis ? De notre droit d'aînesse maghrébine périmé ? C'est au fait notre pétrole ? Notre terre ? Notre guerre ? Non. Juste un spectacle et beaucoup d'avis et de blabla. Trop d'avis. Les Libyens sont les enfants d'un pays qui n'existe pas. C'est un pays où Kadhafi a détruit les institutions, les justices, les opinions, la société civile et les valeurs. Un pays de rien, sans rien que lui-même. C'est parce qu'il a refusé que la Libye ait une justice, des juges, des partis, des libertés, qu'il en payera le prix et en sera la « victime ». Victime de ce qu'il a fabriqué. Un pays où il s'est érigé comme seul juge, faut-il donc s'étonner qu'il n'y ait pas droit à un procès ? Mieux encore : qui sommes-nous pour juger des actes des Libyens ? Avons-nous perdu nos femmes, nos filles, nos sœurs, nos amis et nos êtres chers comme les Libyens ? Sommes-nous à leur place, au cœur de leurs souffrances pour comprendre leurs colères et leurs cris de joie à la mort de ce tyran ? Avons-nous subi les bombes ou ses fils pour se déclarer spécialistes en pitié et en indignations trop confortables ? Pourquoi nous donnons-nous ce droit de les insulter, de les traiter comme des mercenaires de l'OTAN alors que c'est leur choix, leur pays, leur terre et leurs morts ? Qui sommes-nous pour juger de leurs audaces lorsque chez nous seul l'huile et le sucre peuvent soulever la majorité ? L'OTAN les aide et ils lui donnent du pétrole. Oui, et alors ? C'est leur pétrole, pas le nôtre. Ils sont colonisés ? C'est notre point de vue, pas le leur. De quel droit jugeons-nous des choix des autres ? A cause de l'arabité ? De la fraternité ? La belle blague : lorsque le ciel pleuvait des missiles, ce n'est pas l'arabité qui les a protégés et sauvés de la mort. Ce ne sont pas nous les morts, mais seulement les spectateurs. Kadhafi, un héros ? Faut en rire quand on lit ce genre de réaction chez nous. Il faut aussi en pleurer. On y relit un peu, entre les lignes, la jalousie, l'envie, la déception : dans ce monde « arabe » qui ne l'est plus, nous avons, nous Algériens, perdu le dernier prestige : celui du peuple révolutionnaire. L'âge moyen du pays est celui de 75 ans : l'âge où on a des avis surtout et emprise sur rien. Sauf la télécommande. Réveillons-nous : arrêtons d'être des juges sur les autres ! Durant les années 90, on a reproché au monde « arabe » de ne pas bouger pour nous, alors qu'aujourd'hui nous bougeons seulement les lèvres pour les autres pays de ce monde «arabe».