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Avons-nous droit à notre histoire ?
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 29 - 01 - 2012


1ère partie
Les hommes de Beaufre capturent très vite des «supposés fellagha» et quelques membres du FLN. Il va donc les faire remettre à la justice.
Il s'entend répondre par le procureur de Tizi-Ouzou : «Vos fellagha prisonniers, que voulez-vous que j'en fasse ? Tuez-les !» Et il apprend qu'au tout début des «évènements», Mitterrand, encore ministre de l'Intérieur, sans l'écrire, avait dit la même chose : «Vous n'avez qu'à les tuer ! (dans le livre d'Yves Courrière : «La Guerre d'Algérie, le Temps des léopards», Casbah Editions, Alger, 2005, p. 142)
Il n'est nullement question de revenir ici sur les profonds changements introduits par la révision constitutionnelle de novembre 2008 dans le régime politique algérien. Ce qui est digne d'attention dans cette révision et pour le développement à venir, a été l'introduction d'un article faisant de l'Histoire de notre pays un élément constitutionnel, donc la source d'une législation et d'actions spécifiques à ce domaine, et créant pour les autorités publiques des obligations juridiques spécifiques nouvelles.
L'HISTOIRE NATIONALE CONSTITUTIONNALISEE
Voici ce que cette nouvelle disposition - semble-t-il rare, si ce n'est inexistante dans les constitutions des autres pays du monde - proclame : «L'Etat garantit le respect des symboles de la Révolution algérienne, la mémoire des chouhada et la dignité de leurs ayants droit et des moudjahidine. Il œuvre, en outre, à la promotion de l'écriture de l'histoire et de son enseignement aux jeunes générations». (article 62, alinéas 3 et 4).
C'est là un ajout louable, qui comble une lacune de la Constitution de 1989, et vient à point au moment où de nouvelles générations attendent impatiemment de prendre le relai, mais qui, trop souvent, ont une connaissance plus qu'imparfaite de l'Histoire de leur pays, et n'établissent pas le lien entre ce que sont actuellement ce pays et son peuple, malgré les problèmes multiples, d'un côté, et de l'autre, les immenses sacrifices que des générations entières ont endurés pour qu'enfin l'Algérie soit maîtresse de son destin, bon ou mauvais !
UNE EROSION DE LA CONSCIENCE HISTORIQUE NATIONALE
Cependant, cet engagement constitutionnel, dont une partie est déjà prise en charge dans des législations précédant son introduction, n'a pas donné lieu à ce type d'actions fortes, cohérentes et continues, qui, seules, peuvent prouver qu'au-delà de la préservation du bien-être matériel et moral de la génération de la lutte de libération nationale, il y a une réelle volonté de maintenir vivant ce passé douloureux, sans entretenir de sentiment de haine contre l'ancienne puissance coloniale, mais également sans oublier les violences qu'elle a fait subir au peuple algérien pendant les cent trente-deux années de son occupation, et plus particulièrement entre 1954 et 1962, période pendant laquelle elle n'a pas hésité à utiliser les moyens les plus barbares pour étouffer la volonté de liberté des Algériens. Ce que l'on constate, c'est qu'au cours des années, et en dehors des célébrations à l'occasion de quelques dates fatidiques, comme le 1er Novembre et le 20 Août (le 5 juillet, date anniversaire du début officiel de l'occupation coloniale, et de l'Indépendance de l'Algérie, ayant été, pendant longtemps, banalisé comme fête de la Jeunesse pour des raisons qui n'ont jamais été éclaircies), les rappels des atrocités subies par le peuple algérien entre les mains du colonialisme se font de plus en plus abstraits, au point où les gens en sont arrivés à se demander si vraiment le système colonial avait ce visage hideux que lui ont connu les survivants des générations qui ont eu le malheur de vivre sous son joug !
L'ANCIENNE PUISSANCE COLONIALE ET LE REVISIONNISME HISTORIQUE
De l'autre côté, l'ancienne puissance coloniale, pour préserver sa notation «AAA» de «patrie des droits de l'homme,» s'est lancée, de la fin de la guerre en 1962 jusqu'à présent, dans une entreprise de réécriture de son histoire coloniale, sous le couvert de lois d'amnistie et de lois mémorielles, comme celle relative aux supplétifs algériens de l'armée coloniale, connus sous le nom de «harkis.» Lois qui limitent la sacro-sainte liberté d'expression - vite évoquée quand il s'agit d'insulter le Prophète de l'Islam - en menaçant de poursuites pénales quiconque ose mentionner les personnes couvertes par ces lois d'amnistie et lois mémorielles, avec les qualificatifs qui leur sont donnés par les accords de Genève qui établissent, sans contestation possible, que des crimes de guerre ont été commis par les forces de sécurité de ce pays contre des Algériens, pourtant supposés à l'époque être «Français, tout autant que les Auvergnats ou les Lorrains !»
UNE HISTOIRE PARTAGEE DANS LAQUELLE LA VICTIME EST LE PEUPLE ALGERIEN
Les autorités politiques et les instances législatives de l'ancienne colonie ont disposé à leur gré de cette histoire, et, plus encore, légiféré sur elle, sans tenir compte des sensibilités algériennes et sans même que les différents gouvernements algériens, même après l'adoption de la révision constitutionnelle de 2008, aient pensé à réagir !
Certains, et ils sont nombreux, remarqueraient que cette puissance coloniale est souveraine, que ses instances législatives peuvent légiférer comme bon leur semble et sur tout sujet qu'elles veulent, en toute liberté, et qu'il n'y a aucun raison juridique qui puisse les empêcher d'utiliser pleinement leur pouvoir législatif, d'autant plus qu'elles reflètent le pouvoir démocratiquement exercé du peuple, et donc sa volonté. Charbonnier est maître chez soi, et il peut faire sa cuisine comme il l'entend !
UNE INEGALITE DANS LE DROIT A DISPOSER LIBREMENT DE SON HISTOIRE
Est-ce que ce raisonnement, d'essence plus politique que juridique, tient la route ? Et est-ce que le gouvernement de cette puissance serait disposé à accepter, sans réagir soit publiquement soit en exerçant diverses formes de chantage contre les autorités publiques algériennes, que l'Algérie dispose elle aussi en toute liberté de son histoire et fasse passer un texte législatif condamnant le colonialisme, les preuves de ses crimes ne manquant certainement pas ?
Il n'est nullement indispensable d'être dans le secret des «conversations en aparté» ou des «discussions entre la pêche et la poire» pour savoir que les diplomates et autres personnages d'influence ont, les uns avec les autres, prédit qu'une telle législation algérienne serait considérée comme un acte d'une gravité extrême par les anciennes autorités coloniales et constituerait le départ d'une crise politique sans fin et aux conséquences imprévisibles entre nos deux pays !
Certains diront, et ils l'ont déjà fait, que cette «Histoire appartient au passé, et qu'il faut regarder vers l'avenir». Ce raisonnement est non seulement sage, mais également tout à fait acceptable, à condition qu'aucune des deux parties en cause ne prenne des initiatives dont l'objectif est d'apurer son contentieux avec l'image qu'elle veut donner d'elle-même dans le monde, tout en refusant de prendre en charge ses responsabilités d'une Histoire commune pleine de violences contre les anciens peuples colonisés, dont l'Algérie a fait partie à son corps défendant !
Pourtant, et c'est une constatation toute banale, le système colonial, comme la guerre de libération nationale, font partie de l'histoire tragique partagée avec l'ancienne puissance coloniale, histoire dont les victimes ont été les Algériens !
UNE LOI ALLEMANDE POUR REHABILITER LES COLLABOS DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE ?
Verrait-on, par exemple, le gouvernement français rester muet devant une loi allemande amnistiant les criminels de guerre nazis, ou organisant des cérémonies officielles, avec remise de décorations à titre posthume ou autre à des généraux ou des officiers allemands ayant pris part à des actes criminels contre la population ou les résistants français ? Ce gouvernement accepterait-il que le Parlement allemand passe une loi rendant hommage aux anciens de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme, unité de volontaires français intégrée dans les Waffen SS durant la Seconde Guerre mondiale ? Et en supposant que cette loi soit passée, le gouvernement français accepterait-il que l'ambassadeur allemand déclare que «cette loi ne concerne pas les Français» ?
A PARTIR DE QUEL NOMBRE DE VICTIMES DES «MASSACRES EXCEPTIONNELLEMENT IMPORTANTS» DEVIENNENT-ILS UN GENOCIDE ?
Selon la récente déclaration d'un ancien ministre des Affaires étrangères de la puissance coloniale, «il y a eu des massacres exceptionnellement importants». Combien faut-il de «massacres exceptionnellement importants» pour que leur addition devienne un génocide ?
On est prêt à entrer dans une mathématique macabre pour établir le seuil du nombre de personnes massacrées à partir duquel on considérerait que l'on peut donner le qualificatif de «génocide» aux actions de l'ancienne puissance coloniale en Algérie ! Les quelques 400.000 morts officiels algériens, dont l'écrasante majorité est tombée sous les balles ou les bombes de l'ancienne puissance, et décomptés pendant la guerre de libération, sont-ils suffisants pour permettre de proclamer que cette guerre a été une tentative de génocide ? Pour établir le qualificatif de génocide, faut-il également compter l'enfermement, entre 1955 et 1962, de 20% de la population algérienne dans 1.033 «camps de regroupement», euphémismes pour «camps de concentration ?» Faut-il y ajouter les quelque un million de morts estimés entre 1868 et 1871, du fait de la famine causée par la répression ? etc., etc.
Les mémoires des officiers coloniaux de la période de la conquête, comme de la période de la guerre de libération nationale, sont pleines d'histoires de massacres de populations généralement désarmées et d'exécutions de moudjahidine prisonniers, exécutions dont il faut souligner qu'elles étaient effectuées sur la base d'instructions des autorités politiques et juridiques coloniales (voir la citation en chapeau de cette contribution).
UN SIMPLE PETIT ECHANTILLON DE LA GUERRE A LA MODE COLONIALE
On voudrait donner, à titre d'exemple, ce que raconte Clemens Lamping, un Allemand de la principauté d'Oldenbourg, engagé de la Légion étrangère coloniale (voir son livre : «Les Français à Alger» ; traduction anglaise, Putnam Editions, New York, 1845) sur une opération militaire à laquelle il a pris part, lorsque le général Bugeaud commandait les troupes d'invasion coloniale :
«La faible lumière de l'aube découvrit les huttes de la tribu juste en face de nous. Un vieux Kabyle sortait à ce moment avec une paire de bœufs pour labourer : aussitôt qu'il nous vit, il poussa un hurlement d'effroi et prit la fuite, mais quelques balles bien visées le mirent à terre ! En un instant, les grenadiers et les voltigeurs, qui étaient en avant-garde, percèrent la haie de poiriers qui entourent en général les villages kabyles, et le massacre commença. Des ordres stricts avaient été donnés de tuer tous les hommes, et de ne prendre que les femmes et les enfants comme prisonniers. Car nous suivions le précepte : un œil pour un œil, une dent pour une dent»… Aucun homme n'échappa à la mort. Les femmes et les enfants sortirent en courant, hurlant et criant, de leurs huttes à temps pour voir leurs époux et leurs frères se faire massacrer… Ensuite, nous nous en retournâmes avec notre butin. («Les Français en Algérie 3, dans «Littell Living Age», numéro 6112, juillet 1845, pp. 88-93). Ce genre de massacre de populations désarmées, de pillages et d'incendies de villages s'est produit probablement des milliers de fois pendant la période de conquête.
PASSIVITE ET PRISE EN CHARGE DES THESES DE L'ANCIEN COLONISATEUR
L'attitude de passivité des autorités publiques, face à cette entreprise d'effacement de l'histoire par des lois internes à l'ancienne puissance coloniale, a glissé récemment vers une prise en charge des thèses coloniales qui ont légitimé non seulement l'occupation de l'Algérie, mais l'orgie de violence extrême exercée contre le peuple algérien lors de la conquête comme pendant la guerre de libération nationale, et même après l'indépendance de notre pays, les conditions de règlement de certains contentieux, comme celui des Archives de la Régence d'Alger, liées au transfert de pouvoir entre les anciennes autorités coloniales et les autorités étatiques algériennes.
Ce glissement a été sensible à l'occasion d'une étrange affaire où le Parlement de cette puissance coloniale a décidé de légiférer sur des évènements historiques datant de près d'un siècle et qui se sont déroulés sur le territoire de la Turquie ottomane, c'est-à-dire un Etat qui a disparu depuis 1919 !
L'INSURRECTION ARMENIENNE
Il est utile de revenir rapidement sur les évènements qui ont entouré cette épisode tragique de l'histoire de la Première Guerre mondiale, ne serait-ce que pour montrer que l'innocence n'a pas été du côté de ceux que l'on veut faire croire, et qu'il n'y a pas eu de victimes passives, d'un côté, et de méchants prêts en à découdre, de l'autre !
Ce rétablissement de vérités historiques, qui n'a pas pour objectif de justifier l'inhumanité des deux parties en présence, est d'autant plus important que, on ne sait pour quelle raison, une haute autorité algérienne a décidé d'ajouter son grain de sel à cette affaire qui ne concernait pas directement notre pays, car elle a été déclenchée artificiellement en cette période par l'ancienne puissance coloniale, et pour des objectifs peut-être peu clairs pour les observateurs étrangers, mais néanmoins n'ayant rien à voir ni avec la volonté de rétablir des vérités historiques, ni avec le souci moral de condamner toutes les atteintes aux droits de l'Homme qu'ait connues l'Histoire contemporaine ! (voir Frank Chalk et Kurt Jonassohn : «L'Histoire et la sociologie du génocide», Yale University Press, 1990, - qui donne une liste des génocides commis dans le monde depuis l'Antiquité jusqu'à la période contemporaine).
L'OBJECTIF DES ALLIES : FAIRE DISPARAITRE LA NATION TURQUE !
L'un des objectifs plus ou moins déclaré des Alliés, lors de la Première Guerre mondiale, était non seulement le démantèlement de l'Empire ottoman, tant haï, mais également la liquidation de la population turque qui s'était installée au cours de siècles dans ce qui est actuellement l'Anatolie.
L'Alliance, dont faisait partie la Russie tzariste, avait, au début de l'année 1915, lancé des attaques contre la Turquie, de toutes les directions, tentant de débarquer sur les côtes européennes de ce pays (bataille de Gallipoli) , jetant des troupes indo-anglaises à travers l'Irak actuel et fomentant des soulèvements contre les autorités ottomanes, dont le plus connu chez nous est évidemment celui fomenté par Lawrence d'Arabie ; et jusqu'à présent, ses conséquences désastreuses continuent à être payées par les pays en cause !
A suivre


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