Faut-il consacrer dans le droit international le droit à la repentance pour voir de « petites nations » anciennement colonisées ou des communautés victimes de génocides mériter le pardon de la part de leurs anciens tortionnaires ? Puissamment soutenu par de grandes puissances lorsqu'il s'agit d'appeler à la réhabilitation des victimes juives de l'Holocauste comme viennent de le faire les autorités allemandes qui ont érigé - fait inédit - un mémorial à Berlin pour se réconcilier avec l'histoire ou encore pour faire pression sur la Turquie en vue d'obtenir la reconnaissance du génocide des Arméniens, ce geste de reconnaissance est paradoxalement l'objet de surenchères lorsque la même revendication mémorielle vient d'autres horizons. Parler de fours crématoires nazis, de charniers, de génocides qui ont émaillé certains conflits internationaux des temps modernes - des actes pour lesquels de hauts responsables civils et militaires serbes, rwandais... répondent de leurs crimes devant le Tribunal pénal international - est devenu un exercice d'exorcisme collectif des consciences démocratiques dans le monde dit libre et libéré du poids de l'histoire. Mais qu'un pays comme l'Algérie osât enfin par la voix la plus officielle réclamer « une geste fort » de la part de l'ancienne puissance coloniale - la France - cela dérange et passe pour un geste inélégant et inamical. Le porte- parole du quai d'Orsay a réagi hier fermement aux propos tenus par Bouteflika sur les événements du 8 mai 1945 établissant le parallèle entre les juifs jetés dans les fours crématoires nazis et les victimes algériennes des massacres de Sétif, de Guelma et de Kherrata chaulées dans des fosses communes. Visiblement irritées par ces déclarations, les autorités françaises en appellent au « respect mutuel ». Une manière très diplomatique de signifier au président Bouteflika qu'il a poussé le bouchon un peu trop loin en se lançant dans des comparaisons et des paraboles historiques qui n'ont pas lieu d'être faites dans l'entendement de la France officielle. Cette mise au point de la France donne la mesure des limites des compromis que la France serait apte à faire par rapport à la qualification de son passé colonial en Algérie. En reconnaissant près d'un demi-siècle après l'indépendance qu'il s'agit d'une « tragédie inexcusable » selon les propos de l'ambassadeur de France à Alger, réaffirmés par le ministre des Affaires étrangères Michel Barnier dans un entretien à El Watan, les autorités françaises considèrent qu'elles ont fait ce qu'elles devaient faire pour se mettre à niveau par rapport au devoir de mémoire qui est attendu d'eux par l'Algérie. Il ne faut pas à leurs yeux leur demander plus que cette condamnation morale qui n'engage en rien l'Etat français. Reconnaître les crimes commis en Algérie, c'est s'exposer à des sanctions internationales pour crimes contre l'humanité ; un pas que la France ne voudrait franchir sous aucun prétexte. La diplomatie française par la voix du porte-parole du quai d'Orsay vient donc de remettre les pendules à l'heure française en laissant clairement entendre que la repentance en tant qu'acte politique majeur n'est pas à l'ordre du jour. L'Algérie qui avait perçu dans les frémissements des responsables français les prémices d'une courageuse reconnaissance par l'Etat français des atrocités commises en Algérie tenait absolument à lever ce lourd contentieux historique avant la signature du « traité d'amitié » entre l'Algérie et la France annoncée pour la fin de l'année. Ce faux bond de la France n'est certainement pas de nature à contribuer à l'apaisement des esprits des Algériens auxquels on refuse de reconnaître ce qui est concédé à grand renfort de publicité à d'autres peuples dominés : le droit au respect de la mémoire nationale.