A Dakar, la capitale sénégalaise, la tension monte. La ville est secouée par des manifestations récurrentes depuis l'annonce par le Conseil constitutionnel de la validation de la candidature d'Abdoulaye Wade pour un troisième mandat à la tête du pays. Cette décision est vécue par une large partie de la population comme un véritable affront. Aussi bien de la part du vieux président, il aura bientôt 86 ans, que du Conseil constitutionnel qui a entériné ce que beaucoup considèrent comme un coup de force en bonne et due forme. Abdoulaye Wade avait en effet juré qu'il ne se représenterait pas. Mais comme il n'a pas réussi à imposer la candidature de son fils, impliqué dans de nombreux scandales, il a décidé d'oublier sa promesse et de rempiler pour les présidentielles du 26 février 2102. Le Sénégal, jusqu'ici vitrine présentable de la Françafrique, bascule dans la catégorie des «démocratures» africaines. Ces dictatures d'un genre particulier qui savent gérer les oppositions et excellent dans l'organisation, à échéances régulières, d'élections «transparentes» aux résultats connus d'avance. Wade, qui se présentait, avec une certaine morgue, comme un parangon du droit et le défenseur des plus hautes valeurs démocratiques lorsqu'il a été pour la première fois élu en 2000, rejoint la cohorte fournie des présidents à vie et des dictateurs continentaux. Mais la population sénégalaise, dont les conditions de vie sont loin d'avoir été améliorées, n'est pas prête à le suivre et descend dans la rue pour exprimer sa colère et son indignation. La tension monte et les premières victimes sont à déplorer à la suite de manifestations brutalement dispersées. Près de 10.000 personnes ont manifesté mardi sur la place de l'Obélisque à l'appel du mouvement citoyen M23 formé contre la candidature de Wade. Le mouvement de contestation est présent dans tout le pays, notamment à Kaolack et Podor, dans le Nord, où il y a eu deux morts lors des manifestations. Le risque d'une explosion généralisée est de plus en plus palpable. Les partenaires du Sénégal, Paris au premier chef, s'inquiètent de la dérive de Wade et l'exhortent à jeter l'éponge. Celui-ci passe outre et s'insurge contre les «ingérences étrangères». Pourtant, Wade avait bruyamment soutenu l'intervention de l'Otan en Libye. Ce qu'il faut noter est que l'exaspération française est devenue particulièrement perceptible. L'Elysée, qui table sur le respect de la date du 26 février pour la tenue du scrutin présidentiel, aurait prévenu, selon un hebdomadaire français, les autorités de Dakar que si Wade tente un «passage en force», l'armée sénégalaise, légaliste et «républicaine», ne le suivra pas. L'avertissement n'est pas à prendre à la légère. La France pèse fortement - pour ne pas dire qu'elle fait la pluie et le beau temps dans la sous-région - et ne souhaite visiblement pas gérer une situation similaire à celle vécue il y a peu par la Côte d'Ivoire. Mais au-delà de ces rapports, la crise sénégalaise illustre parfaitement la dérive des élites postcoloniales en Afrique, dont l'incurie favorise la montée des radicalismes. Le Boko Haram est un exemple de ce qui attend ces pays sous le joug d'élites devenues, en raison de leur appétit vorace du pouvoir, une menace pour leurs propres pays.