Les religions ont fait irruption dans la campagne présidentielle en France, un débat sur la viande halal repris à l'extrême droite par le camp de Nicolas Sarkozy indignant les communautés juive et musulmane, toutes deux concernées par les abattages rituels. Leurs représentants ont vivement réagi hier, à la remise en cause, la veille par le Premier ministre François Fillon, des méthodes d'abattage des bêtes par les musulmans et les juifs, qualifiées par lui de «traditions ancestrales qui ne correspondent plus à grand-chose». Cette déclaration a aussi provoqué la réaction d'un évêque catholique, Michel Dubost, relevant que dans un pays laïc comme la France le gouvernement «n'a pas à se mêler de ce que font les religions». Le sujet de l'absence d'étiquetage de la viande halal qui ne permettrait pas aux consommateurs non musulmans de savoir ce qu'ils achètent est passé en quelques jours des discours de la candidate d'extrême droite Marine Le Pen, coutumière des sorties anti-musulmanes, à ceux du président-candidat Nicolas Sarkozy et de ses proches. Une partie de la viande provenant des abattages rituels juifs et musulmans qui ne répond pas aux règles se retrouve dans le circuit normal de distribution, sans information particulière. M. Sarkozy, qui positionne sa campagne, de plus en plus à droite, pour tenter de combler son retard sur son adversaire socialiste François Hollande, avait pourtant déclaré le 21 février que la polémique sur la viande halal n'avait «pas lieu d'être». Mais dimanche il s'est prononcé en faveur d'un «étiquetage de la viande, en fonction de la méthode d'abattage». Son chef du gouvernement est allé encore plus loin en transposant le sujet sur le terrain de «traditions» qui ne correspondraient plus aujourd'hui «à grand-chose» dans «un pays moderne». Ce thème de la viande halal qui vise ouvertement les quelque 4 millions de musulmans, régulièrement accusés de ne pas être suffisamment intégrés, a eu pour victimes collatérales les juifs pratiquants qui consomment de la viande casher, elle aussi abattue rituellement. Le grand rabbin de France Gilles Bernheim s'est déclaré hier «très gêné» par ce débat, qui «n'a pas lieu d'être». «Les problèmes de la France sont tellement importants, nous sommes en période de crise, en quoi le problème de la viande casher et de la viande halal est un problème majeur pour la France?», a-t-il demandé. La veille, le président du Conseil représentatif des institutions juives (Crif) Richard Prasquier s'est dit «choqué» par la déclaration «stupéfiante» de M. Fillon, estimant que l'exécutif n'a «pas à s'immiscer dans des traditions religieuses». François Fillon a tenté de désamorcer leur colère en annonçant qu'il recevrait mercredi le grand rabbin Bernheim. Le Conseil français du culte musulman, qui répugne habituellement à intervenir dans le débat public, s'est pour sa part alarmé hier que l'Islam et les musulmans «servent de bouc-émissaires dans cette campagne». L'opposition à M. Sarkozy s'est, de son côté, engouffrée dans la brèche. Un des candidats de la gauche à la présidentielle des 22 avril et 6 mai, Jean-Luc Mélenchon, a dénoncé «l'extrême droitisation de la droite», et M. Hollande a appelé Nicolas Sarkozy et son Premier ministre à «ne pas froisser» des «consciences». Les critiques sont également venues du camp de M. Sarkozy. L'ancienne ministre Rachida Dati, issue d'une famille musulmane, a accusé M. Fillon de sortir «de son rôle». Quant au ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, il a déclaré lundi que la question de la viande halal était un «faux problème», ajoutant que le thème du «choc des civilisations» n'était pas sa «tasse de thé ».