Officiellement, l'Algérie n'a pas payé de rançon aux pirates somaliens pour libérer les 16 marins algériens, en novembre dernier. Mais, officiellement, selon les marins eux-mêmes, les marins sont sans salaires depuis 16 mois. Est-ce la faute du régime ? Non : il n'est pas leur employeur. Sauf qu'il y a un malaise dans cette affaire : l'usage cinématographique de cette affaire, le casting, les effets spéciaux. Les marins ont été libérés sous l'éclairage d'un des derniers films de propagande massive produit par l'ENTV : larmes, émotions, retrouvailles, ministres pleurant enlacés, avions verts, enfants courant vers l'étreinte, etc. Puis tout le monde s'est dispersé sans répondre aux vraies questions de fond : un Algérien est-il considéré comme libéré quand il est ramené en Algérie ? interrogent des harraga. De combien est la rançon que personne n'a payée ? Quand on dit que Bouteflika a suivi cette affaire depuis le premier jour et jusqu'au dernier, le dernier jour c'est après le départ de l'ENTV ou quand les marins rentrent chez eux ou quand ils encaissent les 16 mois de salaire qu'ils n'ont pas reçus selon eux ? Quel était le message de cette mise en scène de l'ENTV : sauver des ministres ? Sauver des marins ? Sauver des Somaliens de la faim ? Sauver les apparences ? D'ailleurs, y a-t-il un service après vente à l'ENTV ? Passons : reste aujourd'hui la question du « à quoi sert un Algérien pour le Pouvoir quand il n'en a pas besoin ? ». La question vaut pour ces 16 marins et pour les 36 millions d'Algériens. Car quand ils ne sont pas des Somaliens qui prennent en otage une APC, une route, la porte d'une entreprise, un puits de pétrole ou un bureau d'ANSEJ ; quand ils ne sont pas filmés par l'ENTV pour remercier Bouteflika et quand ils sont simplement là, à quoi servent les Algériens pour le Pouvoir ? Pour le 10 Mai prochain, la question est réglée. Sauf qu'il reste les 364 autres jours de l'année. On sent ce rapport malsain et gêné entre le Pouvoir et le peuple depuis la fin de l'illusion 62 : le premier ne sait pas quoi faire du second généralement et le second encercle le premier avec son chiffre. Le Régime embrasse le peuple quand il y a de observateurs étrangers et le second, alias le peuple, profite pour demander plus d'argent quand le second a besoin de lui pour faire de la figuration. C'est donc le drame de ces 16 marins : ils ont été utilisés dans un film de propagande qui rapporté gros pour les pirates somaliens et pour les acteurs du régime. Pas pour les marins. Maintenant, c'est trop tard. L'Etat n'est pas responsable de leurs salaires mais seulement de leurs images qu'il a utilisées. Les Somaliens ont pris un argent qui n'existe pas officiellement et tout le monde s'est dispersé. Et personne n'a tort sauf les marins. Ils ont été pris en otage doublement : ici et en Somalie et à chaque fois, ils n'ont rien gagné. Pas même leurs salaires de figurants dans un film qu'ils ont subi. Tout ça pour dire l'essentiel : c'est malsain cette politique qui n'assure même pas le service après vente quand elle vend ou achète un Algérien.