Le Président Mohamed Morsi semblait s'être résigné à être un «second», face au maréchal Mohamed Tantaoui et au Conseil suprême des forces armées (CSFA) qui exerçait une tutelle de fait sur l'Egypte. Dimanche, soir, à l'approche de la rupture du jeûne, il a pris une série de décisions qui ont fait l'effet d'un coup de tonnerre. Le Maréchal Tantaoui et le n°2 du CSFA, le général Sami Anan, chef d'état-major de l'armée, sont mis à la retraite. Dans la foulée, il a abrogé la «déclaration constitutionnelle complémentaire» par laquelle le CSFA s'était octroyé, en juin dernier, le pouvoir législatif. Même si par la suite, certains analystes ont affirmé que ces décisions étaient le fruit d'un «arrangement», la surprise était totale en Egypte. Personne n'attendait vraiment cette montée au créneau du Président Morsi qui semblait avoir été affaibli par l'attaque contre un poste de garde-frontières au Sinaï, un massacre qui a coûté la vie à 16 soldats. Le bras de fer entre lui et les militaires semblait avoir été tranché, en faveur de ces derniers. Il vient d'être relancé. Avec un message très net : le Président Morsi assume pleinement ses fonctions au point de dire, dans un discours qu'il menait personnellement la campagne sécuritaire en cours dans le Sinaï. Pour reprendre une formule bouteflikienne, le président Mohamed Morsi a refusé d'être un 3⁄4 de président, étant entendu que le 4ème quart est toujours décisif. Les militaires limogés ont reçu des postes honorifiques (direction du canal de Suez ou conseillers du président). Mais l'Egypte, sous emprise de l'armée depuis la révolution, connaît un vrai tournant qui suscite, chez les Egyptiens, des sentiments mélangés de satisfaction et aussi d'inquiétude. L'ARMEE DOIT S'OCCUPER DE LA DEFENSE DU PAYS Formellement, le Président Mohamed Morsi détient le pouvoir exécutif. Il dispose aussi, en attendant de résoudre l'imbroglio parlementaire, du pouvoir législatif. Seul le pouvoir judiciaire, incarné par une haute Cour constitutionnelle dont les membres ont été désignés sous Moubarak, lui échappe. En s'attaquant à la « Déclaration constitutionnelle complémentaire» qualifiée de «coup d'Etat institutionnel» par l'organisation des Frères Musulmans, à laquelle il appartient, le Président Morsi renvoie les militaires à leur mission de «défense du pays», selon sa propre formule. L'abrogation de cette déclaration prive désormais les généraux du droit de veto qu'ils se sont octroyés sur les lois et la future constitution. Le changement est d'autant plus remarqué que le Maréchal Hussein Tantaoui était ministre depuis 1991 et incarnait, par excellence, la permanence du système Moubarak. Le Président Morsi a désigné le général Abdel Fattah Al-Sisi, ex-chef des services de renseignements militaires pour le remplacer. Le général Mohamed Al-Assar est, quant à lui, promu vice-ministre de la Défense. Officiellement, ces décisions ont été prises en accord avec les deux militaires mis à la retraite et le CSFA. Le Président Morsi a également désigné comme vice-président, le juge Mahmoud Mekki, un homme qui faisait partie du mouvement de la fronde des juges, en 2005, contre la fraude électorale pendant le scrutin présidentiel qui s'était terminé par une victoire écrasante de Hosni Moubarak. APRES LE LIMOGEAGE, LA POMMADE Le président égyptien ne s'est pas contenté de décider, il a expliqué, dans la soirée même, que ses décisions ne visaient pas à marginaliser l'armée. « Je ne leur veux que du bien. Je veux qu'ils se consacrent à une mission, la protection de la nation», a-t-il déclaré dans un discours prononcé à Al-Azhar. «Je n'ai jamais eu l'intention, par mes décisions, de marginaliser qui que ce soit ou d'être injuste vis-à-vis de quiconque (...), mais de faire en sorte que nous avancions vers un avenir meilleur, avec une nouvelle génération, un sang neuf, longtemps attendu. Je n'ai pas eu l'intention d'embarrasser des institutions», a-t-il déclaré, assurant qu'il avait «en tête l'intérêt de cette nation». A Place «Tahrir», des milliers d'Egyptiens ont salué ces décisions. Le dirigeant des FM, Essam Al Aryane les a qualifiées de «courageuses Elles représentent la deuxième vague de la révolution ». «Vu les circonstances, c'est le bon moment pour effectuer des changements dans l'institution militaire», a estimé Mourad Ali, un haut responsable du Parti de la Liberté et de la Justice (PLJ), la formation de M. Morsi. «C'est un président fort, et il exerce son autorité», a-t-il ajouté. Le chroniqueur Hamdi Quandil parle, de son côté, de « coup d'Etat civil». Dans certains milieux de gauche, on s'inquiète surtout de « l'emprise des Frères Musulmans sur l'Etat».