Baisse du chômage, hausse du sous-emploi et du chômage déguisé : malgré une tendance à l'amélioration statistique, le marché algérien du travail offre de nombreuses contradictions. Et contrairement à une image répandue, la pénurie de main-d'œuvre concerne aussi bien les tâches hautement spécialisées et les artisans que les postes ne demandant aucune formation particulière. Le marché algérien du travail est un condensé de paradoxes. Les statistiques disent une chose, mais la lecture de la presse et l'activisme autour du chômage donnent des indications totalement opposées. Ce qui débouche sur un tableau contrasté, difficile à lire. Selon l'Office National des Statistiques, le taux de chômage en Algérie s'est maintenu à 10 pour cent en 2011. Un taux à priori étonnant, proche de celui de la France, de loin meilleur à celui de l'Espagne et ses 25 pour cent de chômeurs. Dans un pays où l'image traditionnelle des jeunes les présente comme des désœuvrés, des «hittistes» adossés toute la journée au mur, un tel taux relève du miracle. D'autant plus la femme au foyer est, elle aussi, une autre tradition solidement ancrée dans la société algérienne. Les chiffres officiels étaient raillés pour d'autres raisons. Considérés comme peu fiables, ils paraissaient destinés d'abord à vanter le bilan du ministre de tutelle et celui du président Abdelaziz Bouteflika. Djamel Ould Abbès, alors ministre de la solidarité nationale, parlait il y a cinq ans déjà d'un taux inférieur à 12 pour cent. L'ONS donnait un taux légèrement supérieur (12.8% contre 11.8%), mais les chiffres paraissaient si éloignés de la réalité que peu de gens les prenaient au sérieux. Le FMI ne croyait simplement pas à cette baisse, et le faisait savoir discrètement. Pour lui, les créations d'emploi étaient trop faibles pour répondre au demi-million de demandeurs d'emplois qui arrivaient sur le marché du travail chaque année. L'enquête de l'ONS sur l'année 2011 a pourtant été réalisée selon les normes du Bureau International du Travail, qui définit le chômeur de manière précise. La femme au foyer, le travailleur saisonnier ou occasionnel, le travailleur à mi-temps ne sont pas des chômeurs. De même, est considéré comme chômeur celui affirme chercher du travail. Ce qui exclut les milliers de jeunes bénéficiant de multiples forces d'aides pour créer une activité qui ne verra jamais le jour. MEME LA MAIN-D'UVRE NON SPECIALISEE MANQUE Sur le terrain, patrons et fellahs donnent un autre son de cloche. Djillali Daoudi, entrepreneur, cherche des travailleurs depuis des mois. Maçons, menuisiers, plombiers sont les bienvenus, mais ils sont introuvables, dit-il. Pourtant, il offre un travail régulier, avec des salaires corrects et une couverture sociale. «On parle de chômeurs. En fait, il s'agit de jeunes qui refusent de travailler», dit-il, endossant l'image du patron qui déverse sa bile sur les ouvriers. Hama Benali, fellah dans la plaine du Chéliff, reprend pourtant le même discours. Il n'y a plus de travailleurs pour l'agriculture depuis des années, dit-il. «Heureusement que les saisons des récoltes et celles des plantations coïncident avec les vacances scolaires», dit-il. Autrement, il n'y aurait personne pour récolter la pomme de terre. Il montre un champ de melons abandonné, livré aux moutons et au bétail. «Cette récolte a été abandonnée parce qu'il a fallu faire un choix. Les rares ouvriers disponibles et les membres de la famille sont orientés vers ce qui est prioritaire. Le prix des melons est trop bas, la main d'œuvre pour la récolte trop chère et non disponible. Il faut se concentrer sur ce qui est essentiel», dit-il, dit-il pour justifier l'abandon d'une récolte de melons. Cette situation détruit l'image traditionnelle d'une main d'œuvre non qualifiée abondante, parallèlement à une rareté supposée de la main d'œuvre spécialisée. Dans le monde rural, le travail ne demande pas de formation particulière. Malgré cela, il y a une vraie pénurie de main d'œuvre. Comme dans les villes. LES PROMOTEURS NE SONT PLUS DES TRAVAILLEURS Le marché de travail a été asséché par les multiples formes d'aide offertes aux jeunes pour le lancement de leur propre projet. Ces promoteurs de projets, souvent des micro-projets basés sur un véhicule utilitaire, une machine ou un local, ont fleuri à partir de début 2011. Soucieux d'éviter toute agitation dans le sillage du printemps arabe, après les émeutes de janvier 2011, le gouvernement a donné les instructions pour offrir toutes sortes de facilités aux jeunes, et d'agréer toute forme de projets. «Comme l'apport personnel est insignifiant, tous les jeunes se sont, du jour au lendemain, transformés en promoteurs. Ils déposent un dossier et peuplent les cafés, dans l'attente de l'agrément de leur projet», explique, sur un ton sans appel, un fonctionnaire chargé d'étudier les dossiers. «Comme le président Bouteflika a décidé d'éponger les dettes des fellahs à la veille des élections présidentielles de 2009, beaucoup pensent que les prêts actuels ne seront jamais remboursés», ajoute-t-il. Pour lui, «200.000 projets, à 500.000 dinars chacun, coûteront moins d'un milliard de dollars. Compte tenu des capacités financières du pays, et même si le taux d'échec risque d'être élevé, le coût n'est pas très élevé s'il permet, dans la foulée, d'acheter la paix sociale, dit-il. «Et puis, ajoute-t-il avec un sourire entendu, tout ce monde peut constituer une nouvelle clientèle pour le pouvoir. Une clientèle, c'est toujours utile».