Economiste, ancien banquier international et spécialiste des marchés énergétiques, William C. Byrd, évoque dans cet entretien le prodigieux développement du gaz de schiste et répond aux questions sur les impacts environnementaux et la viabilité économique. Des réponses pédagogiques qui peuvent éclairer le débat, naissant en Algérie, sur l'exploitation du gaz de schiste. Lequel, nous explique M.Byrd, ne pourra pas se faire avant de nombreuses années Que penser de la controverse «environnementale» sur les gaz de schiste ? À mon avis, les risques du développement des gaz de schiste sont exagérés par les médias. Deux questions ont tendance à être confondues.Faut-il développer le gaz de schiste dès à présent pour remplacer d'autres combustibles fossiles, principalement le charbon, pour la production d'électricité ou devrions-nous aller directement vers les énergies renouvelables ? Est-ce que l'impact sur l'environnement l'emporte sur les avantages de développer les gaz de schiste?Aux Etats-Unis l'augmentation rapide de la production a fait baisser le prix du gaz naturel au point où cette année pour la première fois, davantage d'électricité est produite à partir de gaz naturel que de charbon. Les réserves américaines de gaz naturel ont augmenté de 50% durant la dernière décennie en raison des gaz de schiste et représentent maintenant un siècle de consommation américaine et les perspectives d'augmentation de cette consommation sont largement prises en compte. Cette abondance à un prix très bas a rendu moins compétitives sur les prix les énergies renouvelables, mais aussi réduit l'urgence d'agir pour les décideurs politiques. Il existe certainement des risques environnementaux dans le développement des gaz de schiste. La production d'énergie est un processus industriel et de tous les processus industriels présentent des risques de ce point de vue. Un des tout premiers chantiers de développements de gaz de schiste se situe au Texas, dans et autour de la ville de Fort Worth. L'Etat du Texas ayant une culture du pétrole et du gaz, le forage et la fracturation hydraulique dans une zone densément peuplée n'était pas un problème. En outre, l'expérience technique des foreurs et des sociétés de services qui opèrent les fracturations étant particulièrement éprouvée, il y a eu peu d'incidents et pas de réaction négative de l'opinion publique. Ce n'est que lorsque le champ de Marcellus a été exploité en Pennsylvanie, quelques années après le premier puits en 2004, que les préoccupations environnementales pour le gaz de schiste ont commencé à attirer l'attention des médias. Une partie du problème est que les techniques de gaz de schiste étaient nouvelles et en évolution rapide, il est donc compréhensible que les régulateurs aient pu être en retard. A l'heure actuelle, les techniques sont stabilisées, les risques peuvent être gérés correctement s'il y a des autorités compétentes et un cadre réglementaire efficace. La pollution des nappes est-elle un obstacle réel, une menace majeure pour l'environnement? Encore une fois, cela revient à un cadre réglementaire approprié. La pollution des nappes peut provenir de deux sources, des fuites du puits, en raison d'une mauvaise consolidation du puits ou alors d'une manipulation fautive des eaux usées de la fracturation.Une mauvaise injection de ciment autour des tubes de production peut survenir de temps à autre, mais cela peut généralement être corrigé et, si ce n'est pas le cas, les puits peuvent être hermétiquement scellés et abandonnées. Il existe des démonstrations filmées d'eau de robinets de cuisine contenant assez de gaz pour entrer en combustion. Cela peut se produire si le coffrage est percé, probablement plus de 1.500 mètres au-dessus du niveau où le gaz naturel s'engouffre dans le dit coffrage. C'est relativement rare, mais cela peut arriver. Ce genre d'incident peut se produire sur les puits de gaz conventionnel, ce n'est donc pas spécifique au gaz de schiste. Le phénomène peut également se produire naturellement, c'est-à-dire sans forage. Afin de gérer ce risque, la bonne pratique est maintenant de mesurer la qualité des puits d'eau à proximité de l'endroit où le puits de gaz naturel doit être foré, puis la mesurer à nouveau après l'entrée en production du puits. De cette façon, si le nouveau puits pose problème, des actions correctives peuvent être prises. Que faire de l'eau utilisée dans la fracturation ? Pour chaque puits entre 11.000 à 30.000 m3 d'eau sont injectés. De 30% à 50% de cette eau remonte à la surface dans la première semaine de production et cette eau contient des éléments toxiques. Cette toxicité émane des produits chimiques qui sont ajoutés à l'eau pour la fracturation. En outre, le schiste peut contenir des métaux lourds et est souvent faiblement radioactive. Cette eau doit être traitée avec précaution. En Pennsylvanie, l'eau a été transportée par camion vers les usines municipales de traitement des eaux qui étaient mal équipés pour filtrer tous les éléments toxiques. Les régulateurs ont rattrapé leur retard et à présent les entreprises réutilisent les mêmes fluides pour d'autres fracturations et prennent le plus grand soin avec des fluides de fracturation usés. Des informations circulent sur la mauvaise performance financière d'entreprises américaines du secteur, à quoi ces contre-performances sont-elles imputables? Les entreprises impliquées dans l'extraction de gaz de schiste aux Etats-Unis ont eu beaucoup de succès dans l'augmentation de leur production. Cela a conduit à une baisse des prix du gaz naturel à un niveau qui fait que les gaz de schiste ne sont plus rentables, sauf si le gaz contient des liquides associés. Les entreprises ont continué à forer pour des raisons spécifiques aux Etats-Unis. La raison principale est que la plupart des terrains où les gaz de schiste sont en cours de développement appartiennent à des particuliers, qui louent les droits fonciers (mineral rights) à des sociétés pétrolières pour des baux de 3 à 5 ans avec parfois une option de renouvellement pour un autre terme de 2 à 3 ans. Le prix de location de ces terrains a pu atteindre atteint 5.000 $ l'acre (0,42hectare) et pour forer un puits, il est nécessaire de disposer d'au moins 80 acres. Si l'entreprise ne fore pas avant l'expiration du bail, elle doit en conclure un nouveau en payant un autre bonus et probablement consentir au propriétaire terrien une plus grande part des bénéfices tirés de la production éventuelle. Les propriétaires fonciers sont en effet beaucoup plus au fait des aspects économiques de la production des gaz de schiste. Mais le risque pour le premier bénéficiaire du bail est qu'une autre entreprise pourrait louer le terrain. Par conséquent, les entreprises sont incitées à creuser des puits afin de ne pas perdre le terrain en location. Une autre cause de la poursuite des forages est que de nombreux opérateurs ont conclu des joint-ventures. Dans ces accords de partenariat, figure l'engagement de forer un certain nombre de puits sur plusieurs années. Ces accords ne prévoient pas le ralentissement du nombre forage si les puits s'avèrent non-rentables. La plupart de ces accords de forage viennent à échéance dans les deux prochaines années, ce qui permettra un nouveau ralentissement de forage si les prix du gaz naturel ne repartent pas à la hausse aux Etats-Unis. À moyen terme, la demande de gaz naturel aux Etats-Unis devrait croître et les prix augmenter vers des niveaux plus proches des niveaux internationaux. La demande proviendra de l'industrie et des exportations de GNL. Donc les grandes sociétés qui disposent de capacités financières importantes vont continuer à forer, mais il y aura un retrait relatif des compagnies qui n'ont pas les moyens d'attendre l'évolution vers des prix plus favorables du gaz naturel aux Etats-Unis. Quelle pourrait être la place des gaz de schiste en Algérie ? L'Agence d'information sur l'Energie (EIA) des Etats-Unis a effectué une étude qui montre que les réserves potentielles de l'Algérie de gaz de schiste sont de 50% plus importantes que celles de gaz naturel conventionnel. Il existe donc un potentiel considérable. Toutefois, il faudra de nombreuses années avant une éventuelle entrée en production.La première étape consiste à déterminer si le schiste en Algérie a les caractéristiques propices à la fracturation. Cette technique, fracking en anglais, est nécessaire pour créer des fractures dans la roche afin que le gaz remonte vers la surface. Si le schiste n'est pas suffisamment friable, la fracturation ne pourra pas ouvrir des brèches pour permettre l'évacuation du gaz. De plus, le schiste ne doit pas contenir d'autres minéraux tels que la bentonite, qui réagissent avec les fluides de fracking et obstruent les fractures. Je ne sais pas s'il existe des études détaillées sur les caractéristiques du schiste en Algérie, mais l'élaboration de ce type d'études prend du temps.Une fois les études terminées, un puits d'essai peut être percé pour optimiser le forage et les techniques de fracturation. Chaque schiste est différent, donc il faut un an ou deux pour trouver la bonne combinaison de forage horizontal et de technique de fracturation. Plus important encore, pour produire économiquement du gaz de schiste, il est nécessaire d'obtenir des prix compétitifs des entreprises qui procèdent réellement aux fracturations. Le coût de la fracturation est souvent plus important que le coût du forage du puits. L'équipement de fracturation d'un puits coûte très cher, et en général l'exploitation des gaz de schiste n'est rentable que si des centaines, voire des milliers, de puits sont forés. De fait, il faudra de nombreuses années pour Schlumberger, Halliburton ou d'autres pour mettre en œuvre des moyens opérationnels en Algérie. Se pose aussi la question de l'utilisation de l'eau. Comme je l'ai mentionné, la fracturation nécessite l'utilisation de masses considérables d'eau et une très grande attention au traitement des eaux usées. Cela peut être une contrainte en Algérie, vu la rareté des ressources hydrauliques. Ainsi, même s'il existe un potentiel significatif, l'Algérie est à un stade très précoce du processus. Il faudra des années avant que soit évaluée l'efficacité économique de l'exploitation des gaz de schiste et plus encore avant qu'une entrée en production soit envisagée.