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Le concours de doctorat du LMD, le nouvel apartheid
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 05 - 12 - 2012

Des milliers d'étudiants se présentent ces jours-ci aux différents concours d'accès au doctorat du LMD dans les universités à travers tout le territoire national. Ils sont confrontés dans cette phase déterminante de leurs études à une nouvelle procédure de concours unique
au monde qui allie l'absurde à l'inique.
De quoi s'agit-il? Et bien d'une nouvelle disposition d'une loi juste adoptée qui ressemble fort à un nouvel apartheid de type universitaire cette fois, où les étudiants sont classés avant même de concourir selon une échelle qui transforme dans la majorité des cas, la réussite à ce concours tant convoité en une impossibilité mathématique fussent-ils des génies. Comment est-on arrivé à ce système d'évaluation unique au Monde qui contient «built in» une injustice aussi flagrante ? Mais d'abord apportons une clarification importante concernant la post graduation en Algérie.
LA POPULATION DOCTORALE ET LA RECHERCHE
Il est un fait patent que l'Université existe en grande partie de par sa post-graduation. C'est en effet par ses études de post graduation que s'ouvrent le monde de la recherche qui va former les jeunes chercheurs, les roder et en fin de compte les intégrer dans le corps enseignant pour une bonne partie d'entre eux. D'ailleurs c'est si vrai que dans les pays Anglo-Saxons, seules les institutions d'enseignements supérieurs qui offrent une formation de post graduation sont appelées universités, le reste vont par l'appellation de «Colleges». Le caractère distinctif d'une Université est donc bien l'existence d'une post graduation et tout ce qui en découle.
Dans les pays avancés, la recherche scientifique est le fait des enseignants de rang magistral assistés d'un corps de chercheurs associés, post-docs et les doctorants en dernière position. Par contre, la recherche dans notre pays notamment et pour des raisons que nous ne discuterons pas ici car cela nous amèneraient trop loin, si elle n'est pas faite en annexe à des travaux initiés par des institutions de recherche étrangères, est trop souvent le fait des doctorants à qui nous avons eu la bienveillance de leur fournir un sujet de thèse et peut-être quelques références.
Notons aussi pour mémoire que cette population de doctorants qui est donc l'épine dorsale de la recherche dans notre pays, sous l'impulsion de la Direction de la Recherche Scientifique et notamment du Prof. Aourag son Directeur Général, a vu récemment son sort s'améliorer considérablement et passer de statut de «zombies» à de jeunes chercheurs au statut valorisé et fort enviable. Ils ont constitués pendant plusieurs décennies il faut le rappeler, la plèbe de notre système universitaire, impayés, non logés, sans lieu de travail (Ils squattaient souvent les bibliothèques…) et totalement marginalisés. Ces doctorants forment donc une composante vitale de l'Université et leur apport à l'effort de recherche national est considérable.
UN NOUVEL APARTHEID ERIGE COMME SYSTEME DE SELECTION
Dans le système LMD, l'accès au Doctorat se fait par sélection. Si cet accès a commencé la première année par l'acceptation de tous les postulants vu que le nombre de postes excédait le nombre de candidats, cet accès s'est rétréci très vite avec l'arrivée d'un nombre croissant d'étudiants ayant terminés leur Master2.
Les nouvelles dispositions du concours d'accès sont contenues sur un arrêté ministériel, et il base la note finale du classement, moitié sur le cursus et moitié sur la note du concours écrit. On pourrait penser à priori que ce système qui donne aux résultats du candidat durant son cursus, même si en décalage par rapport aux normes en vigueur en général dans le monde, est raisonnable dans l'optique du LMD qui accorde une importance particulière à la progression, au travail individuel, et valorise de fait les performances précédentes. En fait, le problème n'est qu'accessoirement là; le véritable problème, la honte de ce concours est l'introduction de deux coefficients appelés savamment Alpha et Beta, qui dénaturent totalement la note du cursus la transformant en une note de rétrogradation et faussant irrémédiablement le concours. Le candidat pourrait-t-il améliorer son score l'année suivante en se préparant à fond avec plus de ferveur, et «cartonner» ? Non, les coefficients Alpha et Beta qu'il aura hérité de sa scolarité seront toujours au rendez vous l'année prochaine et pour l'éternité, comme un boulet au pied. Un étudiant moyen dans la plupart des cas devra obtenir une note au concours au-delà de 20/20 pour y remédier.
RIEN NE SERT DE COURIR… NI MEME DE PARTIR A TEMPS
Un concours dont les résultats sont lisibles en examinant la feuille de classement avant concours, et dont les chances de réussite sont inexistantes pour la majorité des candidats, ressemble fort à un système d'apartheid universitaire. L'apartheid classique crée des damnés quelque soit leur capacité propre car on ne peut échapper à la couleur de sa peau. L'apartheid universitaire que constitue ce concours d'accès au Doctorat reproduit précisément cette damnation : Tu ne peux échapper à ton cursus «rétrogradé» que tu traineras à perpétuité quelque soit tes capacités intellectuelles.
Si l'analogie de l'apartheid vous est répugnante, en voici une autre que vous apprécierez peut-être. Imaginez une course aux 110 mètres haies ou les athlètes qui ont obtenus un excellent score dans une autre épreuve (Dans notre cas le cursus) sont placés à vingt mètres en avant de la ligne de départ (Coefficient Alpha) et puis on leur diminue le nombre de haies (Coefficient Beta), tandis que ceux moins performants sont disposés à 20 mètres et plus derrière la ligne de départ et voient le nombre de haies augmenter suivant leur Beta. Et fuse le signal de départ : «Que le meilleur gagne !»
LES COEFFICIENTS ALPHA ET BETA DE LA HONTE
Nous connaissons bien les échelles de mesure de Celsius, Richter, Rankine, Beaufort, des luminosités stellaires etc. Ces échelles soient-elles linéaires, logarithmiques ou discrètes, servent à classifier les phénomènes naturels ou physiques en couvrant tout le spectre des occurrences, et ce pour une meilleure appréciation de leurs effets. Que dire d'une échelle de notation , la note du cursus après corrections Alpha et Beta, ou une bonne partie des candidats doivent avoir plus que le maximum permis (Plus de 20/20) pour pouvoir espérer être dans le lot des reçus? Cela serait comme une échelle de mesure ou une bonne partie des phénomènes serait hors échelle. D'emblée le jeu est fermé pour la majorité des candidats, à moins que l'extrême minorité pourvue de coefficients 1 fasse ridiculement mal à leur examen. Un haut responsable de l'Université Mentouri dont je tairais le nom décrivait ainsi la situation :
«Il faut croire aux miracles ou être un peu débile pour entrer dans un tel concours !»
Expliquons ces coefficients d'apartheid universitaire. Le facteur Alpha, appelons le pour des raisons évidentes le facteur de discrimination négative, dégrade la note du cursus pour tous les étudiants qui ne sont pas dans le top 10% de leur classe (En général 1, 2 ou 3 étudiants au plus suivant les effectifs) et ce de manière progressive. Ainsi ceux dans la tranche des premiers 25% se voient affecter un facteur de 0,8, dégressif jusqu'à un facteur de 0,5 pour la dernière tranche.
Puis le deuxième facteur de la honte, le facteur Beta, lui pénalise toute faute dans le parcours universitaire du candidat. Ainsi, si par malheur une personne est entrée dans une compensation quelque part fut-ce dans une matière secondaire telle que l'anglais, sa note de cursus sera affligée d'un deuxième facteur 0,8. Un autre péché de ce système est que ce facteur de rétrogradation est le même que l'on commette une peccadille (Un 09 en Anglais qui demande une compensation) ou dans le cas de défaillances majeures (Utiliser la compensation systématiquement pour tous les gros modules): il n'y pas de gradation dans la damnation! Ajoutons que dans des modules ou certains de nos collègues indélicats donnent systématiquement des notes inferieures à 10, et nous avons toute la promotion qui doit compenser pour son module et de ce fait reçoit à la face le facteur discriminant de 0,8. Nous voyons qu'en pratique, un candidat Lambda aux performances mêmes bonnes peut facilement retrouver sa note de cursus affligée d'un coefficient de presque moitié (0,7x 0,8). Dès lors, ses chances de compenser lors de l'épreuve écrit du concours par rapport à ceux qui se trouvent dans le lot de tète sont pour ainsi dire nulles.
Non seulement le concours d'accès est injuste, mais il y a un coté fortement vindicatif et anti pédagogique. Pourquoi faut-il punir toute erreur fut-elle minime dans le parcours du candidat, le transformant en interdiction de poursuivre ses études ? Pourquoi la compensation ou même le rattrapage seraient des fautes ? Après tout ce sont des dispositions légitimes du système LMD pour éviter des blocages, non pas une arme pour punir les étudiants. Mais la disposition la plus pénalisante est certainement le coefficient 0,4 affecté à la note du cursus suite à un redoublement. Ainsi qu'une personne redouble pour une quelconque raison que ce soit, ou qu'elle le fasse comme dans certains cas, suite à des conseils de leurs enseignants, elle se voit pratiquement condamnée à renoncer aux études doctorales. Qu'on se le dise : «Redoubler est un crime». Cela de plus procède de la peine rétroactive puisqu' il n'était pas connu jusqu'à la présente rentrée que le redoublement sera affecté du facteur punitif de 0,4 au cursus lors du concours d'accès au Doctorat. De quelles considérations pédagogiques tout cela procède t-il ?
LE GENIAL SYSTEME DE LA TRIPLE PEINE
Non seulement le candidat aux performances modestes est pénalisé parce que l'on prend en compte son cursus dans le concours et donc il n'est déjà pas à pied d'égalité avec les autres lors du concours écrit, mais en plus on le puni pour cela comme nous l'avons vu d'une double peine supplémentaire. Le coefficient Alpha parce qu'il n'est pas dans le lot de tête, et le coefficient Beta car probablement s'il a un Alpha moins de un, c'est causalement lié au fait qu'il est entré dans le système de compensation ou dû à un rattrapage. Ainsi au détour d'un arrêté ministériel mal pensé a-t-on créé un système de la triple peine ! Leurs auteurs peuvent ainsi se targuer d'avoir innové, mais cette innovation n'est certainement pas un cas de «Bidaa hassana»!
Rappelons nous l'analogie de la course aux haies : Tu as beau courir plus vite, et mieux, et avec plus de souffle, rien n'y fera, tu es hors course avant même la première foulée.
Comment une commission ministérielle a-t-elle pu pondre une telle monstruosité, un tel règlement unique au Monde par son injustice, sa malveillance, son inintelligence, sa grossièreté (j'allais dire son manque de finesse), et finalement dont l'essence viole l'esprit même du LMD ?
LE LMD ALGERIEN ET SES DERIVES
Ainsi le système LMD dont la consécration est justement la phase doctorale, se termine par ces dispositions injustes du concours pour la majorité des étudiants. Pourtant le système du LMD est supposé être généreux, flexible, ouvert. Sur le terrain de la réalité Algérienne, il s'avère être le plus inique et rigide que l'on puisse imaginer.
En plus de son péché originel, celui d'avoir été appliqué à la va vite sans large consultation de la communauté universitaire, il a vu dès la première année de son application ses plus admirables dispositions qui en constituaient l'âme et la beauté, royalement ignorées le dévalorisant dès sa naissance. Je parle notamment du système de passerelles entre parcours et l'individualisation des études. Même les modules à options dans les enseignements dits de découverte ont été systématiquement réduits à une seule matière sans autre choix offert, avec comme sempiternelle excuse du manque de moyens ou pire de sa prétendue ‘«optimisation». Le slogan liberticide brandit à la face des étudiants était : «Tu ne feras pas ce que tu voudras». Ainsi ne pourra t-il pas s'engager dans des combinaisons gagnantes telles que faire de la physique et de la biologie ou de la géologie, des mathématiques et de l'ingéniorat, ou même de la sociologie et de l'histoire, de l'histoire et de l'économie, de l'archéologie et de la botanique, rendant le LMD Algérien encore plus figé et fossilisé que le système à qui ‘il succède.
Précisons cependant pour éviter tout malentendu que le problème du LMD en Algérie n'est pas dans son existence même, ce débat est bien dépassé aujourd'hui, mais bien dans le fait que dès sa plus tendre jeunesse le système LMD a été dévoyé et on n'a jamais remédié à ses tares. Il manque de générosité, de flexibilité, de performance. Il a grandit sans se développer ni s'améliorer, comme un grand corps sans âme resté a l'état végétatif incapable de s'adapter et dont les tares de jeunesse ont grandit avec lui. Il est fait de parcours rigides et illisible, ou aucune liberté de choisir n'est permise et où tout est comptabilisé… contre l'étudiant. Et en bout de course, qui souvent n'est qu'une demi course qui s'arrête à a License, il y a le chômage. De plus son interface avec le monde du travail qui en est la pierre angulaire est resté lettre morte due à l'inexistence d'un substrat socioéconomique dynamique à même de former et d'employer et en particulier d'un tissu industriel actif.
COMMENT TUER L'ESPOIR ET NOURRIR LE DESESPOIR ?
A travers ce concours injuste et discriminatif, quel message envoyons nous à ces vagues d'étudiants du LMD qui à terme arriveront à la phase doctorale, constatant que la partie la plus noble et la plus convoitée est irrémédiablement inaccessible à la majorité d'entre eux ? Un système cul de sac et foncièrement injuste ne peut qu'alimenter les tensions à l'Université et générer un immense sentiment d'impuissance et de frustration qui peut mener à une révolte.
Dans les Universités étrangères, la sélection se fait en général sur la base d'un concours ou il est fait tabula rasa des performances précédentes du cursus des candidats. C'est notamment le cas du fameux «PhD Qualifying Exam» dans les Universités Américaines qui donne accès au Doctorat, ainsi que le concours de résidanat en médecine chez nous. Ainsi, tous les candidats abordent le concours avec les mêmes chances. Tout ce qui a pu arriver lors de la scolarité, de succès et d'échec, de juste ou d'injuste, d'erreurs, d'échecs momentanés, les différences entre les systèmes de notation entre les Universités, tout cela est effacé. Tout le monde part à pied d'égalité, de la même ligne de départ, avec le même nombre de haies à franchir.
L'excellence du candidat doit apparaitre dans ses performances au concours. Ceci est la règle d'égalité des chances appliquée de par le monde et qui faisait la fierté de la première Réforme de l'Enseignement Supérieur de l'après l'indépendance. A-t-on oublié aujourd'hui ce principal cardinal qui a guidé, du moins en principe, la politique du système éducatif de notre pays ?
(*) Jamal Mimouni est Professeur à l'Université Mentouri de Constantine, directeur de l'Ecole Doctorale d'Astrophysique, et président de l'Association Sirius d'Astronomie. Il est aussi Vice Président de l'Union Arabe de l'Astronomie et des Sciences de l'Espace (AUASS).


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