Suite et fin SUSUMI TANIGUSHI ET LA CAUSE ALGERIENNE : UNE HISTOIRE D'EMOTIONS A ce registre, on peut signaler deux contributions, intitulées «Les 50 ans de l'Algérie» et «la Guerre d'Algérie a un demi-siècle», publiés par le Japonais Tanighushi Susumu, respectivement dans le «Youmiuri Choken Quaterly» et «The Arab». Si j'ai évoqué dans un article consacré à Susumi Tanighushi, en 2008, certains faits historiques ayant trait à l'apport de l'intelligentsia nipponne à la lutte du peuple algérien pour son indépendance, c'est parce qu'ils sont à la base de la perception, assez générale, des Japonais de l'Algérie, que je qualifierais de très «respectueuse». Alors qu'il était encore jeune étudiant, Susumi Tanighushi a commencé à faire parler de lui, notamment en répondant «Présent» au moment de l'installation du bureau d'Extrême-Orient de la délégation du FLN. Il était de ceux qui ont compris, très vite, les affres que le colonialisme faisait subir aux peuples qui le vivaient et les a dénoncés avec une hauteur d'esprit et une énergie exceptionnelles. Retour sur ce personnage que les Algériens établis à Tokyo identifient volontiers comme l'un des leurs. A l'instar de ses pairs, plus âgés dont peu sont encore en vie, Susumi Tanighushi, né en 1936 à Changchunen, en Chine, s'exprime toujours sur l'Algérie avec les mêmes sentiments que ceux de 1957, sentiments emplis de ferveur et de solidarité. Ceci l'a amené tout naturellement à recevoir une médaille commémorative de Mérite, à l'occasion du cinquantenaire du déclenchement de la lutte armée. A plus de cinquante-cinq ans de distance, S. Tanighuchi continue d'incarner la figure d'un intellectuel engagé» qui, réagissant d'instinct à la situation faite à l'Algérie, a répondu à travers la plume pour rétablir les vérités historiques dans leur réalité vécue. Ses écrits sur la Révolution algérienne sont devenus des classiques pour les Japonais, mais son engagement politique est, par contre, moins connu et a été soumis à l'épreuve du temps. Aussi, ce n'est pas la valeur journalistique de son œuvre qui va ici retenir notre attention. Nous nous contenterons de l'examiner sous l'angle très particulier de sa portée historique. Taniguchi disait de lui-même qu'il ne s'est jamais mis au service de ceux qui font l'histoire, mais seulement de ceux qui la subissaient. Sa justification pour parler et écrire de l'Algérie, c'est que les Algériens ne pouvaient le faire à l'époque, de Tokyo. Ceux parmi les Algériens qui l'ont rencontré durant les années de lutte de Libération nationale le décrivaient comme un intellectuel «dynamique, généreux, intelligent et affable», guidé par les valeurs culturelles et humaines, qui vont façonné sa vie durant. Quand on lit les essais politiques et les articles publiés dans son journal d'étudiant dans les annales de son université ou dans son mémoire de licence, intitulé «Aperçu historique de la guerre d'Algérie», écrits tous en langue française, on n'hésite pas à le placer au titre des grands stratèges humanistes. Taniguchi insiste toujours sur le fait qu'il appartient à la partie de l'intelligentsia nipponne proche des mouvements de libération et du militantisme politique. Dès son jeune âge, il s'était retrouvé à côté des militants du FLN, à Tokyo, et avait choisi de partager la souffrance des Algériens durant la lutte de Libération, en tant que témoin. Il étudia la langue française pour comprendre les ressorts de la culture coloniale et du système qu'elle a imposé aux peuples subjugués à travers l'étude des œuvres d'Albert Camus et de Frantz Fanon. C'est ainsi qu'il fut projeté dans la corporation des journalistes révolutionnaires. Une enfance passée dans la Mandchourie coloniale, occupée par les militaires japonais et les expériences humaines qu'il y a vécues, l'avaient en fait prédisposé à comprendre et à bien définir les ressorts de l'exploitation coloniale. Sa révolte contre le système colonial a permis a Taniguchi, qui se définissait comme un pied-noir japonais de Mandchourie, de garder sa flamme contestataire et de témoigner en faveur de la vie. Son œuvre a permis à de nouveaux esprits à réfléchir sur la logique coloniale et à prendre conscience de ses conséquences les menant à s'engager en faveur de la cause algérienne. Quand il parle de lui-même, Taniguchi, se décrivait comme un journaliste enseignant, ni spécialiste ni chercheur. Une description qu'il veut claire dans son énoncé comme dans la moralité qu'elle comporte. Son engagement et celui de sa femme Masako, aux côtés de Abdelrahmane Kiouane et de Abdelmalek Benhabylès et ses responsabilités dans la rédaction du bulletin «Algerie News», sont nés de sa rencontre, il y a 55 ans, avec deux étudiants algériens (Taleb Choaïb et Mostafa Negadi), lors d'une conférence de Zengakuren (Union nationale des syndicats autonomes des étudiants japonais) en juin 1957, lorsque les deux jeunes militants sont venus au Japon plaider la cause algérienne. A 21 ans, alors qu'il étudiait la langue française à l'Université des études internationales de Tokyo, il fut désigné par le secrétariat du Zengakuren comme accompagnateur des délégations francophones qui voulaient profiter de leur séjour à Tokyo pour rendre visite aux partis politiques e organisations syndicales ou associatives. A ses yeux, raconte-t-il, l'Algérie ne referait alors qu'au cadre où se déroulait la trame de l'étranger d'Albert Camus. Plus tard, se rappelle-t-il, il entonnait avec Taleb Choaib et Mostafa Negadi l'hymne nationaliste algérien, devant les étudiants japonais. Comme son collègue japonais Nokuma utsunomiya, Susumi Tanighushi dira, plus tard, que le tournant de sa carrière professionnelle et intellectuelle a été la rencontre à Tokyo de la guerre de Libération algérienne. Ce n'est donc pas tout à fait un hasard, si longtemps plus tard, en 1980, il s'est précipité en Algérie pour couvrir la destruction d'El Asnam. Il a cependant partagé également les moments de gloire du pays notamment lors de ses visites à Alger en 1971 pour une conférence des mouvements de Libération nationale et en 1973, pour couvrir le sommet des Non-Alignés. En décembre 2004, à l'occasion de la visite au Japon du Président de la République, il l'avait rencontré, avec l'humilié traditionnelle des Japonais, pour lui parler de la solidarité établie entre les étudiants japonais et algériens, dès 1957. L'HISTOIRE DU FLN A TOKYO A CINQUANTE QUATRE ANS : L'histoire, largement méconnue, du FLN à Tokyo est une histoire qui se décline au singulier, raison pour laquelle elle devrait, sans tarder, trouver sa place au sein de l'histoire du Mouvement national. Le Japon avait, dès 1957, commencé à voir le passage de missions du FLN. Un bureau de représentation ou délégation a été établi, à Tokyo en 1958. Fort de ses quelques amis japonais, le bureau est devenu, en quelques mois, un centre important d'information sur ce qu'il se passait en Algérie et avec des moyens très limités (le siège de la délégation qui se trouvait en 1958 dans un bâtiment en bois, sis au 17 Azabu nishimachi, Minatoku, abrite maintenant une clinique de chirurgie dentaire sise au 14-27 Moto Azabu, Minato-Ku). L'ouverture de la délégation a bénéficié d'une certaine publicité et a été annoncée, en grande pompe, le 25 septembre 1958, à l'hôtel Impérial de Tokyo. On ne peut clore ce rappel, sans parler de l'actuelle association d'amitié Algérie Japon', qui a, à sa tête, l'ancien ambassadeur du Japon en Algérie, M. Akira Urabe, comme président, et le professeur Kunio Fukuda, comme secrétaire général, et l'ambassadeur Sid Ali Ketrandji, comme président d'honneur. L'association, qui s'est fixée pour objectifs : «la promotion des liens d'amitié et de coopération» entre les deux pays et «la connaissance de l'Algérie au Japon», entend «consacrer les liens historiques» qui unissent les deux pays en s'inscrivant dans le prolongement de l'ancienne association d'amitié «Japon - Afrique du Nord», fondée par Tokuma Ustunomiya. L'association d'amitié Algérie - Japon' vient s'ajouter à dautres institutions mises en place pour soutenir l'entente algéro-japonaise, en particulier l'Association parlementaire nipponne d'amitié avec l'Algérie.