Tout au long de la toute récente campagne présidentielle américaine, les sondages ont montré que l'économie, notamment le chômage, est le premier sujet de préoccupation des électeurs. Romney, le candidat républicain, a cherché à profiter de cette situation en déclarant que la politique du président Obama avait échoué et qu'il n'a pas de plan de relance. Obama a néanmoins été réélu. C'est peut-être dû au léger redressement de l'économie au moment de la campagne (ce qui est déjà arrivé quand Roosevelt a battu son adversaire républicain Landon en 1936 malgré la Grande dépression). Mais la victoire d'Obama est peut-être aussi la preuve du sens des réalités économiques de la majorité de l'électorat américain. La théorie économique ne fournit aucune re cette toute faite aux responsables politiques. Les économistes sont comme toujours divisés. Comme il est impossible de tester simultanément les diverses solutions proposées, nous ne disposerons jamais d'une politique macroéconomique efficace à coup sûr. Romney n'avait pas de solution miracle lui non plus, mais en promettant moins d'Etat et des baisses d'impôts, il a essayé d'utiliser la tendance des électeurs à prendre leurs désirs pour des réalités. Cette stratégie aurait pu réussir si la meilleure solution pour relancer l'économie consistait à dépenser moins et à moins prélever d'impôts afin que les ménages disposent de davantage de liquidité. Mais l'électorat n'a pas succombé à ce mirage aux alouettes. Accuser Obama de ne pas avoir de plan pour l'économie n'est pas tout à fait dénué de fondement : aucune de ses propositions n'était d'envergure suffisante, que ce soit pour soutenir le difficile redémarrage économique après la récession de 2007-2009 ou pour protéger les USA de l'onde de choc de la crise européenne ou du fléchissement de la croissance dans le reste du monde. Obama a su à s'entourer de conseillers économiques particulièrement compétents. Que demander de plus à un président ? Pourtant, lors des campagnes présidentielles américaines on discute rarement du choix des conseillers du président ou de ses sources d'inspiration intellectuelle. Or les candidats vendent en réalité non leur propre compétence en économie, mais leur capacité à juger et à gérer l'expertise d'autrui. Il peut arriver qu'un président change de conseillers en cours de mandat. On peut néanmoins se demander pourquoi les candidats à la présidence ne présentent pas leurs conseillers aux électeurs, pour que ces derniers sachent d'où viennent les idées qui les inspirent. Cette fois-ci encore, il n'a été fait aucune mention ni d'un véritable penseur en matière d'économie, ni d'un modèle économique particulier. A l'origine, Obama avait une équipe de conseillers économiques de tonnerre, avec notamment Lawrence Summers, Christina Romer, Austan Goolsbee et Cass Sunstein. Mais ils ne sont plus là. Aujourd'hui, le conseiller économique le plus puissant restant à la Maison Blanche est Gene Sperling, responsable du Conseil économique national (NEC), l'organisme créé par le président Clinton en 1993 pour le guider dans sa politique économique (court-circuitant ainsi plus ou moins le Conseil des conseillers économiques). Le président est entièrement libre du choix de ses conseillers - il n'a pas besoin de l'approbation du Congrès pour cela. C'est pourquoi Obama a pu choisir Summers, l'ancien président de l'université de Harvard, impopulaire, en dépit de ses compétences Sperling est bien moins connu que Summers. Mais son influence a été considérable ; il a joué un rôle central dans le choix de la politique économique américaine durant près de 10 ans. Il a été sous-directeur du NEC depuis sa création en 1993 jusqu'en 1996, et son directeur entre 1996 et 2000. Obama l'a renommé à la tête du NEC en janvier 2011. Dans un livre publié en 2005 (The Pro-Growth Progressive), Sperling fait de nombreuses propositions pour améliorer l'économie. Aucune n'est spectaculaire, mais toutes ensembles, elles pourraient avoir une certaine efficacité. On retrouve certaines d'entre elles dans le projet de loi pour l'emploi qui aurait pu avoir un véritable impact si le Congrès l'avait adopté en 2011. Il comportait certaines des propositions du livre de Sperling : des subventions à l'embauche et à l'emploi, des indemnités chômage, la formation professionnelle, le soutien à l'éducation, y compris au niveau maternel. Ce projet de loi incluait également des mesures destinées à stimuler l'activité économique sans accroître la dette de l'Etat. Mais bien que préoccupée par le chômage, l'opinion publique ne s'intéresse guère aux détails des plans destinés à favoriser la création d'emplois. Et Sperling n'étant pas très connu, son livre a fait un flop. Sperling ne ressemble pas aux autres économistes universitaires qui s'intéressent avant tout à l'évolution de la théorie économique et aux statistiques. Il donne la priorité à la législation, à ce qui peut être fait en pratique pour stimuler l'économie. Il écoute le discours des économistes universitaires, mais ses centres d'intérêt ne sont pas exactement les mêmes. Dans son livre, il écrit en guise de plaisanterie qu'il faudrait aux USA un troisième parti politique, "le parti de l'humilité", qui reconnaîtrait qu'il n'existe pas de solution miracle aux problèmes économique de l'Amérique et qui donnerait la priorité aux "solutions pratiques" directement applicables pour améliorer un peu la situation. En fait, les Américains n'ont pas besoin d'un nouveau parti politique : en réélisant Obama ils ont approuvé ce credo fait d'idéalisme pragmatique. Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz * Enseigne l'économie à l'université de Yale aux USA. Il a écrit en collaboration avec George Akerlof un livre intitulé Animal Spirits: How Human Psychology Drives the Economy and Why It Matters for Global Capitalism [Les esprits animaux - Comment les forces psychologiques mènent la finance et l'économie].