La tripartite qui a regroupé, jeudi dernier à la résidence Djenane el-Mithak à Alger, le gouvernement, l'UGTA et le patronat s'est terminée sur des promesses de revoir certaines « règles » qui freinent la croissance et le développement industriel. Elle s'est aussi achevée sur les « récriminations » de certains responsables d'organisations patronales qui n'arrivent plus à concevoir l'avenir du fait d'un climat d'affaires défavorable. Abdelmalek Sellal, lors de son intervention, a été à la fois attentif aux revendications et sollicitations du patronat mais aussi extrêmement ferme sur un certain nombre de sujets, à l'image de la règle de « 51/49% » ou du Credoc, qui ne seront jamais remis en cause, annonce le Premier ministre. « Je tiens à rappeler que le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a toujours affirmé que notre conception est très éloignée de l'ultralibéralisme qui est à l'origine des crises récurrentes qui affectent l'économie mondiale et a conduit beaucoup de pays à la faillite », souligne d'emblée M. Sellal dans son intervention à la rencontre qui a vu pour la première fois la présence de la presse nationale durant toute la durée de la tripartite mais aussi la présence d'économistes qui ont été conviés à donner leur vision de l'économie nationale. Pour le Premier ministre, l'économie algérienne « se doit de veiller à l'équilibre entre les nécessités de la performance et de la rentabilité et celles d'une politique sociale visant à consolider les droits des travailleurs et atténuer les inégalités ». Réussir l'enjeu de doter le pays d'une industrie moderne de haut niveau n'est pas une utopie, a fait savoir Sellal estimant que les retards accumulés par l'Algérie dans le secteur industriel pourraient devenir un atout en sa faveur. Ces retards, de l'avis du Premier ministre, nous « permettent aujourd'hui de faire un saut technologique considérable », expliquant dans le même sillage, que la mise en place sur le marché de produits à forte teneur technologique et à forte valeur ajoutée rendra les exportations algériennes « concurrentielles ». Sellal, qui n'a pas fait dans la langue de bois, a indiqué qu'il était « illusoire » pour un pays comme l'Algérie de fonder sa compétitivité sur le coût bas de la main-d'œuvre ou de l'énergie à travers l'exportation « masquée » des hydrocarbures dans des produits à faible teneur technologique et à faible valeur ajoutée. « Ce sont les défis qui se posent à toute ambition industrielle visant à intégrer d'une manière dynamique les échanges internationaux », estime le Premier ministre qui souligne qu'au-delà de toutes ces vulnérabilités dues à la dépendance de l'économie nationale aux hydrocarbures, cette économie reste « saine et solide ». Sellal est par ailleurs catégorique : les hydrocarbures continueront à financer les projets d'utilité publique mais aussi à veiller à maintenir la cohésion sociale à travers le maintien du service public. Toutefois, Sellal précisera qu'une économie qui crée de la richesse et des emplois est le meilleur garant de la prospérité et de la stabilité. « L'Algérie ne crée pas suffisamment de richesses et d'emplois durables », avoue le Premier ministre en reconnaissant, sans ambages, que la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures a atteint un niveau critique qu'il s'agit, selon lui, de réduire à travers une démarche rénovée et efficace. « L'emballement de notre balance commerciale nous interpelle sur les risques que nous encourons en cas de fléchissement de nos ressources en devises et qui nous poseraient de sérieux problèmes », assène Sellal en expliquant, pour ceux qui sont contre la fameuse « autorisation d'importation » que le gouvernement a pris des dispositions pour encadrer les activités d'importation en les rationalisant pour éviter la fuite de devises. Le Premier ministre (pour étayer ses dires) citera l'exemple d'un importateur qui a été pris la main dans le sac lorsque les services de la douane ont découvert un conteneur rempli de sable au port d'Alger alors qu'il devait contenir de la marchandise. Sellal a averti clairement que l'Etat frappera d'une main de fer tous les opérateurs véreux qui tentent par des subterfuges de sortir des devises vers des pays étrangers. Pour les patrons d'entreprises qui se plaignent du manque de financement des banques, le Premier ministre répond par des chiffres en soulignant que les crédits octroyés au secteur privé qui a bénéficié en 2012 de 52 % du total de l'ensemble des crédits octroyés à l'économie. Une tendance qui s'est poursuivie pour 2013, ajoute Sellal qui rappelle par ailleurs que le pays, en dépit de tous les problèmes, est sur le plan financier créditeur net du marché financier mondial et a pu réaliser en 2012, un taux de croissance économique de 3,3% et une croissance hors hydrocarbures de 7,1%. Le Premier ministre, qui s'est montré satisfait de la réunion de jeudi en lançant aux patrons à l'issue de la tripartie : « Je vous aime et j'attend de vous que vous m'aimiez », explique que l'Etat algérien a une mission vaste et complexe pour impulser un nouveau type de développement économique et social. CINQ GROUPES DE TRAVAIL POUR VOIR PLUS CLAIR Cinq groupes de travail ont été mis en place à l'issue de la tripartite avec pour mission de remettre leurs rapports dans trois mois. Le premier groupe est chargé d'élaborer un pacte économique et social de croissance, le deuxième de proposer les modalités de contribution du Fonds national de l'investissement (FNI) au financement de l'investissement national public et privé. Un autre groupe va plancher sur les mesures à prendre pour encourager la production nationale et la réintroduction du crédit à la consommation pour les produits locaux. Un autre groupe s'occupera de l'encadrement des actes de gestion. Un cinquième groupe a pour mission d'élaborer les modalités facilitant l'intervention des entreprises nationales du BTPH dans la réalisation du programme national d'équipement. Chaque groupe de travail est présidé par un ministre ou un ministre délégué, à l'exception du groupe chargé de l'encadrement des actes de gestion qui sera pour sa part supervisé directement par le Premier ministre. La protection des cadres algériens relève de toutes les institutions de l'Etat, dira Sellal qui appelle les gestionnaires des entreprises publiques à ne plus avoir peur et à travailler en ayant seulement dans l'esprit la loi. A cet effet, il a appelé ces entreprises publiques à « envisager des partenariats avec les entreprises leaders dans leur domaine », assurant la disponibilité de l'Etat pour les aider à concrétiser cet objectif et à élargir leur marge de manœuvre et autonomie avec une forte sécurisation des cadres. « Nous veillerons fortement à la sécurisation des cadres mais j'attends d'eux, dans un acte de confiance mutuelle, une plus grande implication et mobilisation » pour contribuer à la relance du secteur industriel national. L'entreprise privée devrait retrouver sa place et contribuer activement au développement économique et industriel du pays, préconise en ce sens le Premier ministre. Ce dernier, dira en outre qu' il serait absurde de limiter le rôle de l'entreprise privée, de l'assigner à des activités prédéterminées ou de limiter le capital dont elle voudrait se doter » « L'entreprise privée est l'un des acteurs de notre économie, son apport à la transition que nous amorçons est souhaitable et indispensable », ajoute le Premier ministre pour qui l'entreprise privée ou à capitaux privés « n'est pas un mal nécessaire, mais un bien indispensable ». « Le rôle de l'Etat est d'être le garant de l'économie nationale et c'est dans ce sens que nous agirons désormais. Nous ne gérons plus l'économie par des injonctions administratives mais ce seront les règles économiques qui prévaudront au niveau du marché», soutient Sellal qui annonce cependant un « allègement » du Credoc sans toutefois remettre en cause ce mode de paiement décrié par certains opérateurs économiques privés et même publics. ENTRE «SYNDICAT DU POUVOIR» ET PATRONAT DIVISE Le secrétaire général de l'UGTA ne le cache plus. Pour lui si le fait de prôner la protection des emplois et du pouvoir d'achat des citoyens alors ça ne le dérange nullement d'être accusé de rouler pour le pouvoir. « Je suis fier d'être un syndicat du pouvoir et de la république algérienne démocratique si j'arrive à contribuer au développement social et économique du pays », a-t-il tonné non sans rappeler les « positions immuables » de la centrale syndicale qui visent « au bien-être de la société et du travailleur algérien, aussi bien dans le secteur public que privé ». Sidi Saïd affirme que son organisation a fait, à l'occasion de cette tripartite, 142 propositions pour remettre selon lui, sur rails l'économie. « Il faut désormais instaurer un pacte de confiance », a-t-il déclaré en appelant par ailleurs le gouvernement à l'organisation d'une autre tripartite qui sera dédiée au « côté social». Par ailleurs, le patronat dans son ensemble est sorti satisfait du « discours rassurant » du Premier ministre même si certains veulent juger sur pièce tout ce qui a été dit par Abdelmalek Sellal. Le patronat qui part encore une fois divisé, en dépit des tentatives de rassembler les patrons autour d'une même coordination, montre un certain satisfecit de façade. Interrogé en marge des travaux de la tripartie, Reda Hamiani affirme que son organisation ne fait plus partie de la coordination des patrons, créée, pour rappel, dans la perspective de parler d'une seule voix face au gouvernement. Pourtant, en lisant la déclaration de cette coordination, le président de la CGEA, Habib Youcefi, a clairement cité le FCE comme étant signataire de cette prise de position commune. «Je ne veux pas rajouter de l'huile sur le feu», a déclaré Hamiani aux journalistes en affirmant que son organisation ne s'embarquera dans aucune «coordination» avant de consulter ses adhérents. Dans les coulisses, personne ne cachait l'existence d'une guerre de leadership entre les différents responsables des organisations patronales, à tel point que certains signataires de la déclaration de la coordination ont pris la parole pour parler chacun au nom de leur organisation alors que le consensus aurait voulu qu'ils s'abstiennent pour maintenir une certaine cohésion devant le Premier ministre. En tous les cas, la tripartie a pris fin comme elle a commencé sur des promesses de répondre aux attentes des patrons algériens tout en rassurant l'UGTA.