La rencontre algéro-française sur la filière du lait, qui s'est tenue dimanche dernier, au parc national de Lalla Setti à Tlemcen, a permis de cerner toutes les problématiques de la production laitière en Algérie qui est fournie par quatre espèces animales : vaches, chèvres, brebis et chamelles, notamment les aspects liés à l'organisation de cette profession, ainsi qu'à son développement et ses perspectives. Le but de cette journée, organisée par la maison du lait (implantée à Remchi), en collaboration avec le député de l'APN (représentant de la communauté nationale à l'étranger), M. Samir Chaabna, était de mieux acquérir le savoir-faire et expériences des partenaires français dans ce domaine et encourager l'accompagnement de création et de développement d'entreprises algériennes à fort potentiel de croissance dans notre pays. Lotfi Bouayad Agha, organisateur de cette rencontre et, par ailleurs, directeur général de la maison du lait, avait invité non seulement des spécialistes éminents algériens intervenant dans ce domaine économique, tels que M. Bensemmane Amine (président de la Fondation FILAHA), M. Benchekor Mahmoud (président de la Confédération interprofessionnelle du lait et chef d'entreprise), M. Abed Larbi (membre du CIL et chef d'entreprise), M. Soukehal Abdelhamid (expert international laitier), M. Sami Berrichi (expert laitier) et Mme Bendimerad Nahida (professeur à l'université de Tlemcen), mais aussi des professionnels français, à savoir M. Claude Joly (ex-DG de Danone Djurdjura Algérie), M. Dominique Peinturier (directeur de Jura Bétail), M. Laurent Rombi (directeur R&D compagnie des desserts), M. François Thimel (directeur ENIL La Roche- sur-Foron) et M. Serge Gathier (laitier Aix-les-Bains). Des acteurs dans ce domaine sont aussi venus présenter leur entreprise. «Entreprendre et créer avec succès en Algérie c'est possible», selon Claude Joly, membre de Paris Business Angels (2011-2013), et l'ambition algérienne ne doit pas être laissée de côté, ce secteur porteur et d'avenir doit être mis en avant et développé pour promouvoir l'économie et la société algériennes. «Les business Angels sont des experts en création, management et développement de l'entreprise qui investissent personnellement dans des projets innovants qu'ils ont sélectionnés et auxquels ils croient profondément. Ils accompagnent les créateurs d'entreprises en leur apportant leur savoir-faire et leurs réseaux. Les Business Angels ont à la fois un rôle d'investisseurs et un rôle de mentors», explique cet ex-DG de Danone Djurdjura Algérie entre 2002 et 2006 et créateur de Danone Biscuits Algérie (2006-2010). Dressant un état des lieux de la filière laitière en Algérie (productions, importations, transformations, consommations, besoins et organisation de la filière), l'auteur de l'étude «Eléments de réflexion pour l'élaboration d'un programme décennal de sécurité alimentaire en lait», M. Abdelhamid Soukehal, a, pour sa part, souligné que le potentiel productif de l'Algérie est de 950.000 vaches, 2.500.000 chèvres outre des brebis et chamelles. Le nombre total d'éleveurs avoisine quelque 775.000 dont 215.000 éleveurs de vaches et 200.000 éleveurs de chèvres. Le capital zootechnique laitier par habitant est très faible, soit 1 vache pour 40 habitants. L'élevage est du type extensif, réparti inégalement à travers le territoire, c'est un potentiel mal valorisé pour la production laitière qui doit alimenter les zones urbaines. Une fonction qui n'est assurée que par 1/3 des vaches. Plus de 60% de la production nationale est autoconsommée en zone rurale, elle concerne la totalité des producteurs de races caprines, ovines et camelines et 2/3 de celle des vaches. Cette production est actuellement difficilement collectée par les laiteries industrielles des zones urbaines. Il n'a pas été accordé suffisamment d'intérêt à l'amélioration de la production laitière des races bovines locales, des races caprines, ovines et camelines. Afin de développer l'élevage intensif de vaches, les éleveurs ont surtout recours à l'importation d'animaux reproducteurs sélectionnés. Environ 26.500 génisses gestantes ont été importées en 2011 et 28.300 en 2012». La contrainte principale actuelle de la production laitière, précise-t-il, est d'abord l'insuffisance en ressources fourragères, que ce soit sous formes de pâturages ou prairies, ou de cultures fourragères en sec ou en irrigué. «Les besoins normatifs en équivalent lait pour une population urbaine de 40 millions d'habitants, consommant 90 l/habitant/an sont de l'ordre de 3,6 milliards de litres par an, soit 10 millions de litres par jour. La façon la plus rentable et la plus rapide pour produire cette quantité de lait est de disposer d'un patrimoine zootechnique de 600.000 vaches en lactation avec un rendement de 6.000 l/vache/an (20l/vache/jour), c'est-à-dire qu'il faudra doubler les effectifs actuels en vaches sélectionnées et doubler les rendements par vache. L'alimentation rationnelle de ce cheptel et les hauts rendements laitiers escomptés ne peuvent être réalisés que si l'on développe immédiatement sur d'importantes surfaces en irrigué, la culture de la luzerne et du maïs fourrage notamment. Ces superficies sont estimées à 250.000 hectares. L'encadrement technique de ces cultures, la récolte, la conservation et la distribution de ces fourrages aux éleveurs laitiers, qui sont en hors-sol à 80%, ne peuvent être assurés que par la mise en place d'une nouvelle industrie de fourrages déshydratés. Les besoins globaux sont d'une centaine d'usines de fourrages déshydratés ayant une capacité de 10.000 t/an chacune», souligne l'expert de la fondation Filaha Innove. Ce n'est qu'au prix de cette reconversion du système fourrager que l'on peut atteindre l'objectif de sécurité alimentaire en lait. Le doublement des effectifs en vaches sélectionnées ne peut être assuré que partiellement par l'importation des génisses gestantes. «Les 4/5 des besoins en génisses doivent être produits localement. C'est tout un nouveau réseau d'environ 500 pépinières de génisses d'une capacité unitaire de 500 têtes qu'il faudra mettre en place. Cette production de génisses nécessitera l'utilisation des biotechnologies les plus modernes : utilisation en insémination artificielle de semences sexées femelles, transplantation d'embryons sexés, utilisation de la génomique pour le choix des reproducteurs, utilisation des vaches de race locale comme vaches porteuses d'embryons de bovins de races sélectionnées à haut rendement, etc., afin d'approvisionner les pépinières en vêles. Il existe chez les bovins de races locales et croisées un capital de 140.000 génisses de plus de 12 mois et il est raisonnable d'envisager d'exploiter 50.000 génisses comme vaches porteuses d'embryons sexés femelles de races hautement sélectionnées importées qui deviendront en 3 ans des génisses gestantes nées et élevées en Algérie», commente-il. Et d'ajouter : «Il est recommandé de mettre en œuvre aussi un programme de croisement d'absorption des races locales afin d'obtenir des animaux de races sélectionnées au bout de 4 générations et de lancer un programme d'investissement en vue de la construction, l'équipement et la modernisation d'étables de vaches laitières et génisses. Il faut surtout engager un vaste programme de formation au niveau de fermes-écoles à mettre en place pour renforcer les compétences professionnelles des éleveurs et de l'encadrement technique, adopter une politique des prix qui puisse garantir la production financièrement rentable des fourrages, des génisses et du lait et organiser réellement la profession d'éleveurs afin que ces derniers prennent en charge leur devenir». Des intervenants experts, techniciens, formateurs et responsables administratifs sont intervenus à tour de rôle lors de débats, et discours, dans un esprit convivial et professionnel, sur des thèmes aussi variés : «Intensification des produits fourragers : unique moyen de développement de la production laitière», «Segment du lait reconstitué en Algérie : une logique économique contrariée», «La filière lait», «La recherche et développement», «Indicateurs de performance dans l'entreprise», «Présentation de l'école ENIL La Roche-sur-Foron», «Présentation du Jura Bétail», «Au service du développement de la production laitière en Algérie», «Bactérienne pour lait dans la limitation de la durée de vie du lait pasteurisé», «Sélection de nouvelles souches à fort intérêt technologique», «Expérience dans le domaine associatif». Clôturant cette journée riche d'enseignements, M. Lotfi Bouayad Agha a réitéré son vœu très cher, à savoir la création d'une ferme pilote et ce, à l'instar des fermes pilotes de Guelma (avec les Hollandais) et d'Alger. «C'est suite à l'appel du président Abdelaziz Bouteflika lancé à la diaspora algérienne vivant à l'étranger de qualité en matière de management de venir investir dans le pays, que je suis rentré pour créer mon entreprise familiale de lait. Nous avons trouvé beaucoup de facilités auprès de la FNDRA et des banques pour le financement du projet, en plus des exonérations qui m'ont été accordées. Aujourd'hui, mon seul souhait est qu'on m'accorde le développement d'une ferme pilote en partenariat avec Jura Bétail dans l'Ouest algérien. Rappelons dans ce cadre que son usine «La maison du lait» fête aujourd'hui son dixième anniversaire.