Taleb Ibrahimi a décidé de sortir de son mutisme pour appeler «la société civile et politique» à faire barrage à un quatrième mandat pour Bouteflika. L'on sait qu'en 2004, au lendemain du 2ème mandat présidentiel de Bouteflika, Ahmed Taleb Ibrahimi avait rendu public un communiqué dans lequel il faisait savoir qu'il avait décidé de prendre sa retraite politique. En lisant la longue déclaration qu'il a cosignée avec Abdenour Ali Yahia et Rachid Benyellès et qu'il a rendue publique hier, Ibrahimi donne les raisons qui l'obligent tout autant que ses cosignataires, à rejeter un quatrième mandat pour Bouteflika. «Après voir bafoué la Constitution( ), voila que le clan au pouvoir veut reconduire M. Bouteflika( ), arrivé illégitimement au pouvoir en 1999 ?», écrivent les trois personnalités en préambule de leur déclaration commune. «C'est une négation de la république et du sacro-saint principe d'alternance au pouvoir, une offense à la mémoire de ceux de nos compatriotes qui ont sacrifié leur vie pour l'indépendance du pays et une marque de mépris pour les citoyens que nous sommes», affirment-ils à propos d'un éventuel quatrième mandat pour Bouteflika. «Sauf réaction significative de la société civile et politique, M. Bouteflika sera maintenu à la tête de l'Etat au titre d'une parodie d'élection, identique à toutes celles que nous avons connues dans le passé». Ils tiennent à rappeler que Bouteflika veut rempiler «malgré un âge avancé, un état de santé déplorable et le bilan fort contestable des quinze dernières années.»Pour eux, il est «inexcusable» d'avoir un bilan négatif alors qu'il y a eu «une conjoncture exceptionnellement favorable, celle d'une paix civile retrouvée grâce à la population qui a rejeté l'extrémisme, une pluviométrie providentielle et une embellie extraordinaire des cours du pétrole.» «UN ETAT PROFONDEMENT GANGRENE PAR LA CORRUPTION» Les trois personnalités en veulent ainsi à Bouteflika pour avoir, écrivent-ils, «dilapidé des recettes colossales, à l'exception d'une partie bloquée en bons de trésor pour le seul bénéficie de l'économie américaine». A défaut, pensent-ils, d'édifier une économie productive «en substitution à l'économie rentière des hydrocarbures, le clan présidentiel a acheté la paix sociale avec l'argent du pétrole» aux fins «de rester au pouvoir.» Les trois signataires de la déclaration dénoncent, en outre, le fait «d'avoir inondé le marché de produits d'importation, les contrats faramineux conclus à la grande satisfaction d'une faune d'affairistes de tout acabit et de tous bords, les commissions exorbitantes au profit de contractants nationaux et internationaux et de leurs intermédiaires à travers le monde.» Ibrahimi, Ali Yahia et Benyellès s'indignent par ailleurs, de «la surexploitation criminelle de nos gisements de pétrole, pourtant, notent-ils, bien connus pour la modestie de leurs réserves( ).» Ils déplorent «le peu de projets productifs» ainsi que «le démantèlement de ce qui restait de l'appareil productif, au profit des barons de l'importation». Ce qui, selon eux, a fait de la population algérienne «une population d'assistés ayant perdu le sens de l'entreprise, ne produisant rien et vivotant dans un Etat en queue de classement dans tous les rapports des institutions internationales.» Un Etat qu'ils jugent alors «déliquescent, caractérisé par une administration budgétivore et incompétente, une bureaucratie étouffante, des services publics défaillants, une économie dominée par les activités informelles, la spéculation, la fraude, l'évasion fiscale et monétaire». Un Etat qu'ils classent «hors normes, profondément gangrené par la corruption (aggravée par l'impunité)». «C'EST UNE VERITABLE GUERRE DE L'OPIUM» Les cosignataires de la déclaration consacrent par ailleurs tout un paragraphe au Maroc qu'ils ne citent pas nommément. Ceci, lorsqu'ils relèvent que «l'Etat est incapable de protéger sa population contre les tonnes de kifs qu'un pays voisin, connu pour sa politique expansionniste et son bellicisme à l'égard de l'Algérie, déverse quotidiennement sur nous, sans que le pouvoir en place ne réagisse». Ils sont convaincus que «c'est une véritable guerre de l'opium que ce pays mène contre nous». Une guerre qui, soulignent-ils, «fait des ravages dans la jeunesse algérienne et menace la république dans son intégrité territoriale». Autres griefs qu'ils retiennent contre Bouteflika, «la régression politique, économique, culturelle et éthique ( ) qui n'aura malheureusement jamais été aussi grande». Ils s'indignent avec la même force des mots contre «cette déchéance» qui est, écrivent-ils, «l'œuvre de la coterie au pouvoir qui pousse maintenant l'arrogance jusqu'à vouloir imposer un quatrième mandat dans un climat délétère, aggravé par une situation explosive dans le sud du pays et des déclarations irresponsables faites, hélas, au nom du FLN.» Tout en défendant ainsi les services de sécurité dont le patron est devenu ces derniers temps, la cible privilégiée du SG du FLN, les trois personnalités affirment en substance à propos de Bouteflika que, «devant le viol qu'ils s'apprêtent à faire subir une nouvelle fois à notre peuple, nous, signataires de cette déclaration, considérons qu'il est de notre devoir devant Dieu et devant le peuple algérien, de dénoncer publiquement et solennellement ses dérives politiques et morales inacceptables, sa gestion désastreuse des affaires de l'Etat et son immobilisme face au développement du régionalisme, du communautarisme et des forces centrifuges qui menacent le pays d'éclatement et disons non à un quatrième mandat ( )». Ils lancent un appel «à toutes les forces saines du pays à exprimer leur refus par tous les moyens pacifiques qu'elles jugent utiles (prise de position individuelles et collectives, recueils de signatures, pétitions )» Si le maintien en place du président se confirme, ils appellent alors «à boycotter massivement le simulacre d'élection». Parce qu'ils veulent que «la prochaine élection soit l'occasion d'exiger une refondation des institutions pour que la situation ne se reproduise plus jamais». Ils concluent leur déclaration en recommandant à ce que «la candidature à la magistrature suprême ne soit désormais permise qu'aux seuls dirigeants dans la force de l'âge, en pleine possession de leurs capacités physiques et intellectuelles». Notons que Ahmed Taleb Ibrahimi a été ministre à plusieurs reprises, candidat à la présidentielle de 1999 et chef d'un parti (Wafa) qui n'a jamais eu son agrément. Le général Rachid Benyellès est à la retraite et Abdnour Ali yahia est président d'honneur de la Ligue algérienne des droits de l'homme.