L'Otan s'invite dans la crise ukrainienne en évoquant la «Charte de partenariat stratégique» signée avec Kiev en 1997. Charte qui prévoit l'appui de l'Otan en cas de menace sur la sécurité de l'Ukraine. Inévitablement, l'Otan est entrée depuis dimanche dernier dans la crise ukrainienne. C'était attendu et pour cause : l'Ukraine et l'Otan sont liées, depuis juillet 1997, par une «Charte de partenariat» qui prévoit la consultation de l'Organisation transatlantique en cas «d'atteinte à l'intégrité territoriale» ou de «l'indépendance politique» ou de «la sécurité nationale de l'Ukraine». C'est donc en application de ce principe que le secrétaire général de l'Otan a appelé, dans la déclaration de dimanche dernier, la Russie à cesser toute ingérence en Ukraine et toute manœuvre d'ordre militaire à ses frontières, sous peine d'une réaction de l'Organisation transatlantique. Il faut signaler que l'Ukraine constitue une pièce maîtresse dans la nouvelle architecture stratégique de l'Otan depuis la chute du mur de Berlin en 1989 et la fin de l'ex-URSS. D'ailleurs, bien avant la signature de la «Charte de partenariat», l'Ukraine a adhéré, dès février 1994, au «Partenariat pour la paix» initié par l'Otan et participe, depuis, au «Conseil euro-atlantique pour la paix». L'Otan assure, à ce jour, la formation d'officiers des forces armées ukrainiennes et les assiste dans la modernisation et la restructuration pour leur intégration au système de défense de l'Otan. C'est que l'avenir de l'Ukraine est décisif dans l'équilibre géostratégique entre la Russie et l'Otan (Occident). Dernière frontière avec l'Europe, l'Ukraine est le pays «tampon» entre l'Europe et la Russie. De son côté, consciente de l'enjeu ukrainien, la Russie s'active depuis le début des années 1990 et l'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir à construire un ensemble commun sécuritaire et économique avec les pays de la Communauté des Etats indépendants (CEI), l'Azerbaïdjan et l'Ukraine, c'est-à-dire les anciennes républiques de l'ex-URSS, pour parer à l'offensive occidentale dans la région et dans toute l'Asie mineure. Ainsi, l'initiation par la Russie de la zone de libre-échange économique (marché commun à l'image de celui de l'Union européenne) avec ces pays traduit cette confrontation avec l'Union européenne (et les USA) pour le leadership économique (et énergétique). Si l'Ukraine bascule, définitivement, dans le giron occidental, la Russie perdra un maillon capital pour son influence (et ses intérêts) géostratégiques dans toute la région «sous asiatique». Cette lutte d'influence entre l'Occident et la Russie s'est, depuis les années 1990, exprimée par divers signaux, lors de réunions internationales. En mai 2012 par exemple, lors du Sommet de l'Otan tenu à Chicago, les membres de l'Alliance transatlantique ont réitéré leur engagement pour «une Ukraine avec un Etat de droit, indépendante, souveraine, démocratique» et ont ajouté que cela «est essentiel pour la sécurité euro-atlantique». Les Occidentaux sentaient, voilà plus de deux ans, et plus spécialement depuis l'arrivée de Victor Ianoukovich au pouvoir en février 2010, la stratégie du revirement de l'Ukraine pour une alliance avec la Russie. Ianoukovich a mis fin aux réformes, initiées depuis 2005, par la Commission Otan-Ukraine et visant à l'interopérabilité des forces armées entre les deux parties. Il a également mis un terme à la participation de militaires ukrainiens dans les missions de maintien de la paix sous la bannière de l'Otan. Ce sont autant de stratégies militaires et économiques bousculées par Victor Ianoukovich pour replacer son pays dans une alliance avec la Russie qui inquiètent les Occidentaux dans leur quête d'influence dans la région. Du coup, ce qui se passe en Ukraine dépasse de loin une simple lutte pour le pouvoir entre factions ou clans rivaux dans le pays. Elle traduit le rapport de force entre Occidentaux et Russes dans leur compétition pour le leadership et le contrôle économique (énergie surtout) de cette région charnière entre les deux continents, européen et asiatique. Logiquement, la Russie ne reculera pas dans la défense de ses intérêts après les déclarations de l'Otan et les menaces de sanctions des Occidentaux (boycott du G8 prévu en juin à Sotchi, limitation des importations russes, etc.). Elle évoquera la protection des populations russes et russophone en Ukraine, les accords de défense mutuelle, la présence de ses bases militaires en Crimée, etc. Vladimir Poutine a autant d'arguments, sinon plus que les Occidentaux, pour justifier une intervention en Ukraine. Il sait aussi que la question ukrainienne est le dernier «test» des Occidentaux pour mesurer ses forces et sa volonté à résister à leur propre offensive géostratégique. Le remue-ménage diplomatique (Onu, Europe, Otan) engagé depuis ces dernières 24 heures démontre toute la complexité de cette crise. Une sortie «par le haut» de toutes les parties prenantes ne sera possible que par un consensus qui préservera les intérêts des uns et des autres. C'est tout le problème.