Le changement opéré jeudi dernier à la tête de la direction générale de la société ArcelorMittal d'El-Hadjar n'est certainement pas une décision sans lien avec l'ébullition vécue ces derniers jours sur le front social, marqué par un profond mécontentement des travailleurs qui observent un débrayage inopiné depuis le lundi 10 mars dernier. Le nouveau directeur général, M. Mukund Kulkarni, qui a été ainsi installé dans ses fonctions jeudi dernier en remplacement de M. Vincent Le Gouic, a constaté au moment même de la prise de ses fonctions le degré ou l'ampleur de la grogne des salariés. C'est que près de 4000 travailleurs se sont rassemblés devant la direction générale et ont séquestré tous les membres du conseil d'administration lors de la cérémonie de son installation. Les travailleurs ont tenu à travers cette manifestation de colère à lancer un message au nouveau directeur général, «les choses ne sont pas au beau fixe sur le plan socioprofessionnel», comme l'a indiqué l'un des manifestants. Le nouveau DG, M. Mukund Kulkarni, prend donc ses fonctions dans un climat socioprofessionnel délétère. Son premier défi sera, de toute évidence, de désamorcer cette crise qui provoque des tensions au sein du complexe sidérurgique et menace jusque ses fondements ainsi que tous les plans qu'on serait tenté de mettre en exécution pour relancer une activité qui tourne au ralenti depuis quelques années, il est vrai pas seulement en raison du malaise social qui la serre d'une solide étreinte mais aussi à cause de difficultés financières fatalement ressenties par le complexe qui est arrivé à un point où sa trésorerie ne pouvait plus assurer l'essentiel pour garantir sa pérennité. Cette situation désastreuse, les syndicalistes la mettent sur le compte d'une mauvaise gestion adoptée par le partenaire étranger, voire d'une volonté clairement établie «de mettre les bâtons dans les roues» pour bloquer toute stratégie visant le développement et l'amélioration de la production du complexe sidérurgique. Interrogé hier sur les effets de ce changement opéré à la tête de la direction générale d'ArceloMittal, le secrétaire général d'entreprise, M. Daoud Kechichi, demeure sceptique. «Ce changement peut s'avérer salvateur seulement si le nouveau directeur général décide d'actionner d'autres changements au sein de son staff, notamment à la direction des ressources humaines, car c'est là que réside le fond du problème et c'est là que se résume pour le moment la revendication des travailleurs qui exigent le départ de toute l'équipe de la DRH au préalable à toute négociation pour la reprise du travail», considère M. Daoud Kechichi, insistant à ce titre sur le ras-le-bol des travailleurs qui ont déclenché un débrayage sans aucun appel émis dans ce sens par le syndicat. Notre interlocuteur nous a déclarés que les membres du syndicat ont eu un premier contact avec le nouveau directeur général et n'ont pas manqué de lui soumettre leurs doléances, non sans lui rappeler les termes du pacte social signé au mois de septembre 2013 entre les deux partenaires sociaux. Pour les syndicalistes, il est impératif de veiller au strict respect de la législation en matière de recrutement d'étrangers et de respecter la convention collective, avec tout ce que cela comporte comme application de l'organigramme et la fiche des postes qui en découle. D'après les déclarations des travailleurs et l'éclairage des syndicalistes autour du développement des évènements, le débrayage sera encore maintenu dimanche prochain et les jours suivants en attendant des signes qui plaideraient en faveur d'un apaisement. De son côté, le conseil d'administration semble favoriser l'introduction d'un nouveau souffle au complexe sidérurgique d'El-Hadjar, jugeant à travers un communiqué rendu public jeudi dernier que ce changement à la tête de la direction générale «s'inscrit dans le cadre du plan général tracé pour ranimer et augmenter les capacités de production d'ArcelorMittal qui a bénéficié d'une aide financière allouée par les pouvoirs publics destinée à l'investissement». Mettant en exergue à travers ce communiqué que le nouveau DG d'ArcelorMittal Algérie occupait le poste de DG de la société ArcelorMittal Zenica, en Bosnie-Herzégovine, où il a «réussi la concrétisation de la stratégie de développement arrêtée». M. Kulkarni, en homme rompu à ce genre de mission d'après son CV, a indiqué au cours de la cérémonie d'installation présidée par le président du conseil d'administration d'ArcelorMittal, que «la promotion de ce complexe en société rentable, jouissant d'une place sur le marché, ainsi que la sécurisation des travailleurs et des équipements figurent parmi les défis qu'il faut relever». Pour rappel, le groupe public Sider avait récupéré en octobre 2013 la majorité (51%) du capital de l'ex-ArcelorMittal Annaba après une expérience de partenariat de 12 ans à hauteur de 70% du capital entre les mains du partenaire étranger. L'actuel complexe ArcelorMittal Algérie a bénéficié d'un ambitieux programme d'investissement pour un objectif de production de 2 millions de tonnes annuellement, à l'horizon 2017. Ce complexe qui emploie actuellement près de 5600 travailleurs connaît des opérations d'entretien et de mise à niveau ciblant le haut fourneau n° 2, en service mais avec une cadence qui demeure très faible, selon les responsables concernés. Ces derniers reconnaissent qu'il existe un marché fortement demandeur, mais essentiellement approvisionné par l'importation, parce que la production locale n'a pas su ou pu répondre à la demande de manière efficace. En tout cas, cet important investissement consenti par les pouvoirs publics remplit plusieurs objectifs dont la pérennisation de l'entreprise, la vie économique locale et l'emploi d'une part, et participer à la réduction de la facture des importations, d'autre part. C'est là justement le fin mot qui menace les intérêts de la maffia industrielle.