L'Europe et les USA annoncent des sanctions symboliques contre la Russie. Moscou demeure inébranlable. Vladimir Poutine sait très bien les limites des Occidentaux : en cas de boycott de l'économie russe, celle de l'Europe, déjà en difficulté, s'écroulera. En attendant la réunion, en session extraordinaire, des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne (UE) prévue ce jeudi et vendredi à Bruxelles, ce sont donc les ministres des Affaires étrangères qui ont annoncé, lors de leur rencontre à Bruxelles mercredi dernier, une première salve de sanctions visant 21 hauts responsables de Crimée, d'Ukraine et de Russie en réponse aux choix, par le référendum du 16 mars, du peuple de Crimée de rejoindre la Fédération de Russie. Sanctions qui prêtent plus au «symbole politique et diplomatique» qu'à une riposte franche, ferme qui refroidirait les ardeurs et l'engagement de Moscou dans la région et l'obligerait à céder aux pressions des Occidentaux (USA et Europe). 21 personnalités dont l'ex-chef de l'Etat ukrainien, Victor Inoukovitch, le 1er ministre de Crimée, le président du Conseil suprême, certains parlementaires russes et d'autres seconds couteaux du nouveau régime en Crimée seront privées de visas de circulation dans les pays de l'UE. Au même moment, les USA annonçaient les mêmes sanctions pour la même liste de personnalités avec, en plus, le gel des avoirs financiers de certaines d'entre-elles. Désormais, les regards sont tournés vers Moscou pour juger de sa réaction. Et Vladimir Poutine est resté de marbre, annonçant qu'il va solliciter la Douma (chambre basse du Parlement russe) pour mettre en route les procédures juridiques pour «l'inclusion» de la Crimée dans la Fédération russe. Que peuvent faire les Occidentaux après «l'annexion» définitive et officielle de la Crimée à la «mère patrie» russe ? Ils laissent entendre qu'ils précéderont à des sanctions économiques qui ébranleront le régime de Vladimir Poutine. Comment ? Sur quels segments de l'économie russe ? Avec quelles conséquences en retour sur les Occidentaux ? Ce qui est, en revanche, certain, c'est que la Russie dispose, elle aussi, de moyens de réplique qui auront un impact catastrophique sur l'économie des pays de l'UE. 3e partenaire économique et commercial de l'UE, la Russie dispose de «l'arme» de l'énergie : le gaz. Près de 30% du gaz consommé en Europe provient de Russie. Cependant, certains pays européens y dépendent à 100%, tels les pays Baltes, d'autres à 60 et 80% comme la Pologne, l'Ukraine et l'Allemagne et d'autres comme la France, d'à peine 15%. C'est sur cette disparité dans la dépendance du gaz russe que Vladimir Poutine compte pour s'éviter l'unanimité dans le degré et la nature des sanctions et menaces brandies par les Européens. Par ailleurs, il faut rappeler qu'en matière de commerce et investissement, les Européens réalisent plus de 48% de leur chiffre d'affaires en Russie. Cela va du secteur de l'automobile aux services (16.000 permis de travail délivrés aux Européens chaque année) et jusqu'au secteur de l'armement. Cependant, les Européens disposent d'un avantage : 75% des investissements étrangers en Russie proviennent de l'Europe. L'interdépendance des économies russe et européenne est si dense qu'un «boycott» de l'économie russe provoquera une «débâcle» économique et politique en Europe. Plus risqué encore : les accords de partenariat stratégique Otan-Russie, actés depuis 1997 et gérés depuis 2002 par le Conseil Otan-Russie (COR). L'équilibre géostratégique du monde en dépend. Rappelons-nous l'épisode (lancé sous l'ère de George W. Bush) du «bouclier antimissile» américain en Pologne et Tchéquie, mis en veilleuse après l'opposition de Moscou. Tant d'intérêts réciproques sont en jeu qu'une guerre économique (ou manœuvres militaires) entre Russes et Occidentaux serait catastrophique pour tous, y compris pour le reste du monde. Les dirigeants politiques des deux camps le savent, en sont conscients et n'ont d'autre choix que la voie diplomatique et la négociation pour s'en sortir par le «haut». C'est ce que prônent des pays comme l'Allemagne et l'Italie parce que plus touchés (gaz) en cas de crise ouverte avec la Russie. Du coup, la crise en Ukraine ne pourra pas se passer, éventuellement, d'autres puissances régionales (Chine, Inde ?) qui serviront de médiateurs entre les Occidentaux et les Russes. Comble de l'absurde, le cadre onusien apparaît comme trop étroit pour la gestion de cette crise : la Russie dispose du droit de veto au Conseil de sécurité. Habitués à prévenir les crises de cette ampleur, d'aucuns s'interrogent sur la «maladresse» et «l'amateurisme» diplomatique des Européens dans la gestion de l'affaire ukrainienne depuis son début en novembre dernier, lorsque le président déchu, Victor Ianoukovitch, s'est vu refuser une aide financière au moment de la signature de l'Accord d'association. Aide consentie (promise), finalement, au nouveau gouvernement de Kiev.