En Algérie, la réalité «politique» précède et souvent supplante la légalité. La «règle» qui crée une constante discordance entre le réel et ce qui est prévu par la loi est très largement confirmée par le secteur de l'audiovisuel. Des télévisions algériennes au statut «étranger», une vraie fiction juridique qui ne masque pas un état de fait, ont existé, travaillé et entretenu des ministres, couvert des activités publiques sans aucune couverture légale. Ce n'est que maintenant, avec la promulgation de la loi relative à l'activité audiovisuelle, adoptée fin janvier par le Parlement, dans le Journal officiel n°16 du 23 mars 2014 qu'une base légale existe. Les télévisions algériennes étrangères qui ont eu le privilège d'avoir le droit d'exister malgré le «monopole officiel» peuvent «rapatrier» leur statut. Si, bien entendu, le pouvoir qui leur a permis d'exister y consent. La manière dont a été liquidée Atlas TV - et le fait que son propriétaire soit un gros ponte du régime en «disgrâce» n'y change rien - montre que le pouvoir tiendra en laisse ces nouvelles télévisions qui se sont d'ailleurs multipliées à la faveur de la présidentielle. La plupart en faveur du quatrième mandat. Les télévisions «étrangères» algériennes sont déjà près de la vingtaine et elles occupent déjà le terrain grâce à une «permissivité» qui n'est pas généralisable. Elles sont déjà là depuis un certain temps alors que la loi n'est effective que depuis le 26 mars. D'où le soupçon chez d'autres aspirants à la création d'une chaîne de télévision que les dés sont déjà pipés et que les «amis» ont été servis. En «théorie», ces télévisions off-shore n'ont pas une existence légale en droit algérien et donc doivent être «créées» et se soumettre à l'obligation d'obtenir les autorisations nécessaires. Il reste qu'elles ont une «avance» certaine sur ceux qui attendaient sagement la loi ou parce qu'ils n'avaient pas «l'entregent» nécessaire pour pouvoir s'en passer. LA DECISION POLITIQUE PRIME Ce décalage entre la réalité du paysage audiovisuel et la légalité est symptomatique du dualisme entre le «formel» et le «réel» du système politique algérien. D'où d'ailleurs la conviction générale que les timides ouvertures de la loi promulguée dépendront très largement de la décision politique et non du cadre juridique lui-même. Le constat fait par le professeur Belkacem Mostefaoui sur le projet de loi reste valable après sa promulgation. On y trouve surtout des «modalités» et des «autorisations» contraignantes et le texte ne vient pas asseoir une liberté mais pour fixer des «limites» à l'activité. «La loi sur l'information d'avril 1990 était beaucoup plus expressive d'une nouvelle liberté. Elle était ouverte à tous les entrepreneurs privés et publics, comme en témoigne la naissance de 131 titres de presse écrite. Cet avant-projet de loi, au contraire, est dominé par le restrictif», avait jugé Belkacem Mostefaoui. Une vision restrictive qui d'ailleurs contraste avec la faculté laissée aux télévisions «privées» d'exister sans aucune base légale véritable. TRABENDO AUDIOVISUEL AUTORISE On a laissé faire une sorte de «trabendo audiovisuel» régulé politiquement. Et les dispositions de la loi, la composition de l'Autorité de régulation de l'audiovisuel permettent largement au pouvoir de garder la main. Au titre de l'article 57, cette autorité sera composée de neuf (9) membres nommés par décret présidentiel, à savoir cinq (5) dont le président, désignés par le président de la République, deux (2) membres non parlementaires, proposés par le président du Conseil de la nation et deux (2) membres non parlementaires, proposés par le président de l'Assemblée populaire nationale. Même si on affirme que l'Autorité de régulation de l'audiovisuel exerce ses missions en toute indépendance, le mode de désignation de ses membres n'a rien d'anodin. Sans compter que le flou reste de mise sur la notion de «chaîne thématique» vers laquelle pourraient être confinées les chaînes privées. Les chaînes thématiques, c'est connu ailleurs, ont du mal à survivre en raison du peu d'intérêt des annonceurs. S'y ajoute aussi une possibilité pour les autorités de verrouiller l'expression politique en «confinant» les chaînes privées dans un domaine précis. La chaîne thématique est censée présenter des «programmes télévisuels ou sonores s'articulant autour d'un ou de plusieurs sujets». Il est vrai qu'on a déclaré que les chaînes thématiques peuvent comporter des émissions ou des programmes d'information. Mais dans un pays où le politique supplante la loi, ces assurances n'ont rien de rassurant.