A force de jets de yaourts, de meetings empêchés, d'opposants embarqués, de chaîne TV fermée et d'Ouyahia dégagé, on a oublié une question de forme : qui a fait vraiment campagne en Algérie ? Ceux de Bouteflika ont essayé de le faire sur terrain mais l'épopée a tourné à la résistance contre la huée. Ce n'était pas une campagne mais une contre-campagne menée par les hommes de Bouteflika contre Bouteflika. A force d'erreurs, de mauvais discours, de tromperies et de cris et d'insultes. La partie Bouteflika a promis peu et s'est surtout attelée à expliquer, justifier, démentir et faire des bilans chinois du passé. En position défensive contre une partie de la population qui lui en veut, qui ne comprend pas, qui ne s'intéresse pas ou qui se scandalise ou qui veut plus. Les autres candidats? Moussa Touati. Flou, à peine visible si ce n'est pas sa dernière déclaration menaçant de sortir dans la rue. L'homme est désormais totalement confondu avec son statut de lièvre et il ne pourra jamais sortir de ce règne du secondaire. Louisa Hanoune? Etonnant parcours qui commença par la lucidité et qui a fini, deux décennies après, dans la paranoïa, l'invective, les théories extraterrestres, la médiumnité. Cette femme devient inexplicable. Sa campagne a eu cette étrange forme de ne pas faire campagne pour Louisa, d'en faire pour un adversaire (en principe) alias Bouteflika et contre un autre qui ne lui a rien fait, Benflis. La bonne femme part du principe qu'elle est là pour défendre Bouteflika et attaquer Benflis. Etrange campagne électorale. L'autre jeune du FLN dont personne ne retient le nom ? On ne sait rien de lui, pas même son visage destiné à incarner l'angle mort de la palette, le casting du «jeune de service». Et alors ? Sans faire du rabattage, il n'y a que Benflis qui a fait campagne, dans la tradition de la campagne. Il ne s'agit pas de jugement politique mais d'un bilan esthétique. Le bonhomme a été servi par la plaisanterie de Sellal, le sinistre de Ghardaïa, l'incompétence de Benyounès et de Ghoul, le scandale musical old fashion de Saadani et par tous les hommes qui se sont chargés de «vendre» Bouteflika aux électeurs. Ensuite, il a été servi par l'argument de sa visibilité jouant contre un adversaire invisible. Ali Benflis avait commencé sa campagne par une élocution moyenne, tiède, trop longue et vaseuse. Au fil des jours, il s'est affermi, a trouvé ses mots, posé ses arguments et construit une offre. Il est arrivé à transcender le rôle d'enfant du FLN et d'adversaire de Bouteflika pour s'habiller en homme «national» capable d'assurer une alternative à l'impasse Bouteflika. Les électeurs algériens, ceux nombreux qui ne disent rien, sont sensibles à la sécurité et à l'image de l'homme qui peut l'assurer. Et, paradoxalement, Bouteflika est vu comme source d'instabilité malgré sa campagne basée sur la stabilité : il est diminué et sa vie est entre les mains de Dieu et des ans, pense l'âme profonde du pays. A côté, Benflis apparaît jeune, vivant, ne murmure pas et serre des mains et promet de la propreté et de la dignité. Peu à peu donc, le candidat de 2004 s'est affirmé, a parlé, a dit et autour de lui, de loin, certains commencent à croire à quelque chose d'inattendu : il pourra gagner dans un jeu sans triche. La raison ? Pas politique, mais psychologique et stratégique : l'homme rassure dans le chaos des hommes de Bouteflika et il a su jouer des faiblesses de son adversaire. Le grand bilan «esthétique» de la campagne se résume ainsi : Benflis a fait campagne, les hommes de Bouteflika ont fait contre-campagne contre Barakat, le temps, l'évidence, les images, le Net et les populations et les jets d'œufs et de yaourts. Benflis a parlé de ce qu'il va faire, les Bouteflikistes ont parlé de ce que Bouteflika a fait. Benflis a essayé de convaincre, les autres ont essayé d'acheter. Grosse différence. Même si les «clients» sont plus actifs que les citoyens.