C'est le peuple Belahmar. Du nom du « Savant » Echourouk qui a chassé 1000 mauvais esprits juifs dans un village de Khenchela. Selon l'article qui procède de la légende dorée publié en fin de semaine, c'est le wali en personne qui aurait conseillé à la famille harcelée par ces esprits de voir avec Belahmar, l'exorciste de Relizane. Qui est cet homme ? Un chasseur d'esprits qui déjà possède une « clinique » et une légende et a gagné des procès en sorcellerie et a pesé sur le score du match d'Oum Dourmane. Le Harry Potter selon internet. L'imam qui ne se cache pas selon les deux ou trois versets qu'il connaît avec sa formation de technicien en robinets. Passons. Le sujet ce n'est pas cet homme qui a bien compris le moyen-âge de son époque, mais le « peuple Belahmar ». Ce peuple qui vote comme le mouton, vit comme la laine et a peur comme l'eau. Un peuple produit par les chaînes TV religieuses, les cheikhs hurlants, la culture fatwas, le sous-développement et le basculement de la conscience dans la mastication à cause du pétrole et de la servilité. Et c'est ce « peuple Belahmar » qu'il faut regarder en face, le reconnaître et s'avouer son existence au-delà du « peuple algérien idéal ». Il y a le peuple Belahmar et il y a le peuple idéal, celui des hymnes et des analyses et des engagements. Le premier est celui que l'on subit et croise, le second est celui que l'on s'imagine et que l'on défend. Le peuple algérien d'aujourd'hui, c'est « le peuple Belahmar ». Celui en face de qui on commence à douter des envies de démocratiser et d'arracher des droits. C'est ce peuple qui a voté le dernier vote comique. Celui que l'on déteste parfois comme un reflet et qui va à contre-courant de l'histoire du peuple algérien racontée par la mémoire et les livres. Le peuple du 1er Avril, en remplacement du peuple du 1er Novembre. Avec le « peuple Belahmar » il faut revoir les catégories de pensées et les normes d'engagements. Car cela déçoit, fourvoie et vous mène à endosser le rôle du niais. Il s'agit d'accepter aussi ce « peuple ». De se l'avouer au-delà du tabou. De dire qu'il existe bien que cela soit malaisé de le faire pour le clergé algérien enfant de la gauche et du populisme et de l'égalitarisme. Le peuple Belahmar est désormais là, votre voisin, au bout de votre regard, en vous. Il sert à vous cerner et vous isoler et vous démentir. Il peut vous dévorer et vous lapider en ricanant. Et peut servir à vous chasser. Son pays n'est plus le vôtre. Le sien est une féodalité qu'il accepte et le vôtre un pays rêvé que vous attendez. « Le peuple Belahmar » est celui dont vous ne parlez pas par pudeur mais qui n'en a aucune pour afficher sa dégradation. Il s'habille mal, n'a pas le goût raffiné des ancêtres, est grossier, bigot, superstitieux, lit des journaux maléfiques, croit aux diables, manipulable, goinfre, sale, malpoli, insolent dans le rassasiement, inculte jusqu'à vous humilier par sa présence et impossible à soulever pour une cause autre que la semoule. Longue liste. Mais c'est désormais l'une des solitudes de l'Algérien rêveur parmi les siens. Cela a été une réussite dans le mal : après Larbi Ben M'hidi et Amirouche ou Ferhat Abbès, on a donc Saïdani et Belahmar. Régression violente par le haut, de la République vers le Deylicat et, vers le bas, du peuple de gloire au peuple Belahmar. Le régime a réussi à restaurer ce peuple colonisable, peureux, illettré et moyenâgeux d'avant la colonisation française. Et il a réussi à tuer, chasser, désespérer et cerner l'autre peuple lettré, conscient et courageux qui avait réussi, un jour, à chasser la France coloniale. Belahmar : fascinante image de notre dégradation et de nos échecs, figure de notre basculement et de notre solitude. Ce peuple n'est qu'une fiction ou, au mieux, une foule entre deux repas. N'en déplaise à ceux pour qui ces mots crus sont une insulte. Arrêtons l'hypocrisie et parlons de ce que chacun dit en catimini et en off consterné.