Dans une Libye livrée aux milices et aux appétits plus aucun scénario ne parait invraisemblable. Ceux qui font office d'autorité, le gouvernement et le Parlement (le Congrès général national) n'ont ni la capacité et encore moins la légitimité pour rétablir un ordre minimal pour rendre le pays vivable. La Libye post-Kadhafi est un Etat d'anarchie qui n'est pas en voie de résorption et où le monopole de l'exercice de la force par l'Etat n'est pas près d'être rétabli. La Libye n'a plus d'Etat et on se demande si le pays a des chances de continuer d'exister dans un proche avenir. C'est un cercle vicieux qui se perpétue, l'Etat n'arrivant pas à mettre au pas les milices existantes, ceux qui veulent se faire entendre ou se protéger créent à leur tour des milices. Car au pays des milices, ceux qui sont sans armes sont irrémédiablement perdants. Durant les dernières 48 heures, un ancien général de l'armée, revenu en Libye en 2011 après un séjour aux Etats-Unis de deux décennies, est engagé dans un coup de poker violent et sanglant. L'opération qu'il a lancée à Benghazi contre une milice islamiste parait à usage multiple. En apparence, il s'agit de liquider, avec l'appui de séparatistes de l'Est qui veulent recréer la Cyrénaïque, les milices islamistes installées dans la ville de Benghazi. Mais l'homme qui parle au nom de « l'armée nationale » a reçu le ralliement de plusieurs unités d'une armée libyenne qui peine à se mettre en place. Le général Khalifa Haftar, pour le nommer, a déjà tenté, sans en avoir les moyens, un putsch contre Tripoli en février dernier. Le plus remarquable est que cette tentative de coup d'Etat, dénoncée comme telle par le gouvernement, n'a eu aucune incidence sur l'homme. Comme s'il avait des assurances suffisamment fortes pour continuer à agir malgré l'échec de sa première tentative. Cette fois-ci, en engageant la guerre à Benghazi il n'y a pas d'autres mots pour parler des opérations où même l'aviation est partie prenante , il se donne des moyens plus sérieux de réussir un coup d'Etat. Faire la guerre aux milices islamistes ne peut qu'être apprécié par les Occidentaux et notamment les Américains qui s'inquiètent de voir la Libye se transformer en La Mecque des radicaux islamistes. Face à un gouvernement dépassé, le général Haftar tente clairement de rallier les militaires de l'armée dans une optique de « rétablissement de l'ordre » et d'une prise de pouvoir en bonne et due forme. Le gouvernement de Tripoli n'a pas hésité à dénoncer un « groupe hors-la-loi » engagé dans des opérations « illégales » à Benghazi. Mais les choses ne semblent pas être aussi simples. L'action du général Haftar semble être soutenue par des centres de pouvoir à Tripoli qui peuvent ainsi engager, à travers lui, une guerre contre les milices qu'ils n'ont pas osé faire jusqu'à présent. Le ralliement de plusieurs unités de l'armée à l'opération de Benghazi semble le confirmer. Ceux qui ont enclenché la guerre à Benghazi peuvent escompter avoir un soutien chez une partie de l'opinion, excédée par les désordres et l'insécurité. Mais dans le vortex libyen, l'imprévisible est de mise. A plus forte raison quand les actions sont engagées en forme de coups de poker aux résultats aléatoires. Le général Haftar joue sa partition et ceux qui le soutiennent, ouvertement ou derrière les rideaux, ont leurs propres calculs. Mais ils ne sont pas les seuls joueurs de poker. Dans un pays où la suspicion est aussi abondante que les armes, une exacerbation des violences et des désordres parait l'hypothèse la plus forte.