Le jeune producteur de «Thala films», Yacine Bouaziz (32 ans) a été invité par le Festival de Cannes à rencontrer les professionnels du cinéma. Entretien dans le style «Jawab Bassite» avec une figure emblématique de la nouvelle génération de l'audio-visuel algérien qui s'est fait un nom en dehors des circuits officiels et étatiques habituels. Le premier festival de Cannes de Yacine Bouaziz remonte à l'année 2004, il y a tout juste 10 ans donc. L'étudiant en communication à la fac de Nice découvrait le monde de la croisette en pleine effervescence festivalière. Flanqué de deux énormes bouteilles sur le dos, il proposait aux passants pressés de tester une marque de café qu'il leur servait dans des gobelets de fortune. Un job d'étudiant, quoi... Qui pouvait se douter alors que le beau jeune homme-sandwich au teint couleur café allait revenir à Cannes une décennie plus tard avec le badge «Producer»? - Le Quotidien d'Oran: Que fais-tu au juste à Cannes - Yacine Bouaziz: J'ai été invité dans le cadre du programme «Producers Netwoks» a rencontrer pendant une semaine les professionnels du cinéma, tous domaines confondus, venus des quatre coins du monde, pour établir des contacts et, entre autres, savoir comment on peut trouver des financements pour produire des films. Comme Thala films compte produire prochainement le premier long-métrage de Amine Sidi Boumediene, ces rencontres et contacts à Cannes me seront utiles. - Le Quotidien d'Oran: Comment es-tu arrivé au monde du cinéma ? - Yacine Bouaziz : Mes passions premières sont les romans de science-fiction et la musique. La SF c'est la passion que je partage depuis longtemps avec Amine Sidi Boumedine. Quand on était au collège Chakib Arselane, ex MacClay, on avait 12 ans et déjà on écrivait des nouvelles de SF, et on se passait les romans de Ray Bradbury, Arthur C Clarke... J'ai découvert le cinéma plus tard, quand je suis allé en France faire des études de communication. A la fin de mon cursus universitaire à Nice, j'étais devenu un vrai cinéphile, je suis alors monté à Paris comme on dit pour faire des études de cinéma. C'est là que je rencontré mon futur associé Fayçal Hammoum, qui à peu près le même parcours que moi, après des études de droit à Assas, il s'inscrit lui aussi dans une école de cinéma. En 2009, je rentre à Alger, car je ne concevais de faire des films qu'en Algérie. Et aussi parce que le programme Ansej nous donnait l'opportunité d'ouvrir notre propre structure. C'est comme ça que j'ai lancé la boite de production Thala Films. Le premier projet a été de lancer la série des 5 courts métrages, «Demain, Alger». Pour gagner de l'argent et faire tourner la boite, je savais qu'il fallait aussi produire pour la télévision et faire des publicités. Mais d'abord se faire connaître. Les portes étaient fermées, mais heureusement qu'il y avait le web. J'ai eu l'idée de lancer sur la toile la série «Djawab Bassite», en reprenant le principe de «la boite à questions» de Canal Plus, format simple à produite et à monter : des invités sur un canapé répondent à des questions ludiques, décalées...J'aimais bien réaliser et surtout monter moi-même ce genre d'émissions. Un an plus tard Canal Algérie, la télévision algérienne, nous achetait une série de Jawab Basssite. Cela tombait plutôt bien car on avait besoin d'argent pour le second court-métrage de Amine Sidi-Boumediene qu'on avait déjà lancé sans pratiquement avoir d'argent: «Al Jazira», la première expérience de SF dans le cinéma algérien - Le Quotidien d'Oran: Et c'est votre rêve de collégien qui se réalise enfin... - Yacine Bouaziz: Absolument, et heureusement que le film a été primé dans les festivals arabes, on a pu récolter un peu d'argent pour se payer un peu quand même... - Le Quotidien d'Oran: Est-ce que financièrement, la boîte de production «Thalla film» est viable ? - Yacine Bouaziz: Oui, parce qu'on n'est pas loin de rembourser la totalité du prêt de l'Ansej, et qu'entre temps on a réalisé des spots de pub, des captations de concerts, des clips, des trailers pour des films de fiction produits en Algérie, des petits sujets pour des télévisions étrangères. Oui, c'est économiquement viable même si ce n'est pas tous les jours facile. Oui enfin parce que notre gestion est rigoureuse, on est seulement quatre permanents dans Thala films. - Le Quotidien d'Oran: Quels sont tes projets en cours ? - Yacine Bouaziz: Le cinéma et la musique sont mes deux passions. Par exemple j'ai eu un coup de foudre pour un chanteur reggae ornais, Democratoz, du coup j'ai investi toute ma part d'argent gagné par un prix glané à Abu Dhabi pour faire venir en Algérie Jean Alain Roussel, l'arrangeur exceptionnel qui a travaillé entre autres pour Bob Marley. C'est symbolique que cet album ait été enregistré entre Oran et Tizi et je ferai moi même le clip. De même avec Amine Sidi Boumediene. Je lui fais confiance pour le premier long-métrage qu'il vient d'écrire. On gagne de l'argent avec la publicité et la télévision pour pouvoir l'investir dans nos projets cinéma, et nos coups de coeurs musicaux. «Le Sacrifié»,est le titre provisoire du film d'Amine dont l'action se passe dans les années 90. Deux flics algériens dont on ne sait rien, descendent dans le désert à la recherche d'un terroriste. Thriller? Road Movie? Ce que j'aime avec Amine c'est qu'il nous emporte toujours ailleurs, dans le scénario un accident de voiture va faire basculer le film dans une autre dimension, plus mystique, les deux flics vont être sauvés par une tribu touareg, mais je ne peux pas en dire plus, le film dans le meilleur des cas ne se tournera qu'en janvier 2016. - Le Quotidien d'Oran: Quel est le cinéma que tu aimes ? - Yacine Bouaziz: Fellini, Godard et surtout Kubrick, les premiers films d'Oliver Stone... Sinon en Algérie Amor Hakkar, je trouve que c'est le meilleur de nos cinéastes, avec peu de moyens il fait un cinéma consistant, il a le don de raconter des histoires. - Le Quotidien d'Oran: Quels sont les films que tu as vu à Cannes ? - Yacine Bouaziz: Aucun pour le moment, j'enchaîne rendez-vous sur rendez-vous, mais je compte bien voir le film de Xavier Dolan que j'apprécie particulièrement et ce depuis son tout premier film.