L'ancien président français, Nicolas Sarkozy, vient d'être rattrapé par la justice qui l'a placé, hier, en garde à vue dans le cadre d'une enquête ouverte, notamment pour trafic d'influence présumé. Une première dans l'histoire de la Vème République pour un ancien chef de l'Etat, même si lui et son prédécesseur à l'Elysée, Jacques Chirac, ont pu être inculpés dans des affaires judiciaires, sans jamais être placés sous ce régime coercitif. Vingt-quatre heures plus tôt, son avocat Me Thierry Herzog, ainsi que deux hauts magistrats, Gilbert Azibert, premier avocat général près la Cour de cassation, et son collègue Patrick Sassoust, avocat général à la chambre criminelle de la haute juridiction, sont placés en garde à vue à Nanterre, au siège de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) de la direction centrale de la police judiciaire. Les quatre hommes sont tous interrogés dans le cadre de l'enquête pour «trafic d'influence» et «violation du secret de l'instruction» sur un réseau d'informateurs susceptibles d'avoir renseigné les proches de M. Sarkozy, voire l'ancien président de la République lui-même, dans les procédures judiciaires pouvant le menacer, en particulier le dossier Bettencourt. Pour rappel, puni de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 500.000 euros, le trafic d'influence vise, selon l'article 433-2 du code pénal français, le fait «de solliciter ou d'agréer, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour lui-même ou pour autrui, pour abuser ou avoir abusé de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d'une autorité ou d'une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable». Les enquêteurs cherchent ainsi à établir si Nicolas Sarkozy a œuvré en personne pour obtenir des informations auprès de Gilbert Azibert à propos d'une décision de justice le concernant, en échange de la promesse d'un poste de prestige à Monaco. Ce dossier est le prolongement naturel de l'enquête, au printemps 2013, sur un possible financement libyen de la campagne présidentielle de M. Sarkozy, en 2007. Plusieurs proches de l'ex-président sont alors placés sur écoute. Plusieurs conversations de Michel Gaudin, ancien patron de la police et ex-préfet de police de Paris, suscitent l'intérêt des enquêteurs. Il semble notamment vouloir, en vain, se renseigner sur l'enquête libyenne auprès du patron du renseignement intérieur, Patrick Calvar. Les juges décident alors, toujours une première, de placer à son tour l'ex-président de la République sur écoute, notamment le téléphone qu'il utilise sous le pseudonyme de «Paul Bismuth» pour converser avec son avocat, d'où l'incrimination de «violation du secret de l'instruction». Les interceptions téléphoniques opérées en janvier et février 2014 ont révélé que M. Sarkozy et Me Herzog semblaient très renseignés sur l'avancée des travaux de la Cour de cassation, alors saisie de la procédure Bettencourt et qui a abouti à un non-lieu pour Nicolas Sarkozy dans cette affaire d'abus de faiblesse présumé aux dépens de la milliardaire française. Gilbert Azibert et Patrick Sassoust sont ainsi suspectés d'avoir fait bénéficier M. Sarkozy, via son avocat, d'informations confidentielles. A l'issue de sa garde à vue de 24 heures, qui peut être prolongée jusqu'à 48 heures au maximum, il reviendra aux deux juges d'instruction de décider du sort judiciaire de l'ancien chef de l'Etat. M. Sarkozy pourrait être relâché sans poursuites ou inculpé. Dans le deuxième cas de figure, il est conduit devant les magistrats en charge du dossier où il peut être interrogé comme témoin simple, ce qui signifierait qu'aucune charge ne pèse sur lui. La justice peut lui accorder le statut hybride de témoin assisté, le mettre en examen si elle estime avoir réuni contre lui des «indices graves et concordants» d'avoir commis une infraction. Outre les dossiers du financement libyen et du trafic d'influence, le parquet de Paris a confié à des juges financiers une enquête pour «faux et usage de faux», «abus de confiance» et «tentative d'escroquerie», en relation avec le financement de la campagne de 2012 de Nicolas Sarkozy. Ses meetings semblent avoir été en grande partie financés par l'UMP afin de masquer un dépassement du plafond autorisé. Les policiers enquêtent également sur la régularité des contrats conclus entre l'Elysée et neuf instituts de sondage sous le quinquennat de Sarkozy, soupçonné de favoritisme.