Dans les quartiers populaires à Alger, une sourde colère gronde. Le séisme de vendredi dernier qui a lézardé encore plus le fragile équilibre social dans ces quartiers réputés socialement difficiles, avec plus d'un million d'habitants, a complètement chamboulé, de l'aveu même du wali, Abdelkader Zoukh, le programme de relogement. A Bab El Oued, Bologhine ou la Casbah, à Climat de France, La Beaucheraye ou Bab Ejdid, beaucoup de maisons et d'immeubles datant pour certains du début du siècle dernier, ont été endommagés par ce séisme de 5,6 degrés sur l'échelle ouverte de Richter. La secousse a ébranlé les vieilles bâtisses, et mis à nu les carences de la wilaya d'Alger en matière de relogement des habitants dont les bâtisses menacent ruine, notamment dans le grand Bab El Oued, la vieille médina d'Alger ou la Casbah, à Bologhine et notamment les immeubles du front de mer, rongés par l'humidité et le sel. Il en est ainsi de la Casbah d'Alger dont plusieurs maisons, classées «Rouge» et donc inhabitables, de la rue de Tanger avec des immeubles qui menacent de s'écrouler à tout moment. A la rue du Coq (Zenket Esserdouk), donnant sur la rue Larbi Ben M'hidi, les murs porteurs de ce qui étaient jadis des maisons de maître, dont une abritait le célèbre cinéma Le Marivaux, sont littéralement coupés en deux, a constaté Le Quotidien d'Oran. Officiellement, ces immeubles sont classés «Rouges» et n'ouvrent pas droit à l'actuelle opération de restauration du vieux bâti à Alger-Centre. «Nous avons vu le président d'APC à plusieurs reprises pour un hypothétique relogement, en vain», raconte une septuagénaire qui a été obligée d'aller s'installer ailleurs de peur de voir le petit immeuble qu'elle habite s'écrouler sur elle. C'est en gros ce sentiment de hogra, d'insécurité et de fragilité devant la nature qui a fait sortir dans les rues les habitants de Bab El Oued et de Bologhine (Ex-Saint Eugène), après le séisme de vendredi dernier. Ce sentiment ronge les habitants de ces quartiers, parmi les plus anciens de la capitale. Au Front de mer de la commune de Bologhine, juste en face du stade, la famille Hamai et ses voisins vivent un véritable calvaire. «L'immeuble risque de s'écrouler à tout moment, il est vieux et pas rafistolé, il est rongé par la mer et les intempéries. Il a été classé » à démolir «depuis des années, mais jusqu'à présent, nous y habitons toujours, et pas l'ombre d'une promesse de relogement de la part des autorités locales». Le sort de cette famille est le même que celui de beaucoup d'autres de ce quartier qui ont manifesté leur colère plusieurs fois cette semaine pour se faire entendre. «On ne comprend pas que les squatters et les constructeurs de bidonvilles sont vite relogés sitôt arrivés à Alger, alors que nous, natifs de cette ville, on croupit dans nos appartements exigus et humides», raconte un habitant de Bab El Oued, «fatigué de la fuite en avant des responsables locaux». Plusieurs immeubles de Bab El Oued, qui compte un peu plus d'un million d'habitants, ont été sérieusement touchés par le séisme du 1 août 2014. Suffisant pour nourrir la colère de ses habitants qui dénoncent «l'attitude des autorités locales qui ne vont que vers les cas extrêmes», selon un natif du quartier qui ajoute: «à moins d'être porté sur une liste de relogement après une véritable hécatombe». Dans la nuit de vendredi dernier, suite aux instructions du ministre de l'Intérieur, 58 familles de Bologhine dont les habitations ont été endommagées, ont été relogées à Chaïbia dans la commune d'Ouled Chebel. Ce qui a provoqué une grande frustration des autres habitants de ce quartier, mais également des quartiers avoisinants de la commune de Bab El Oued, Oued Koriche et la Casbah. A Bab Ejdid, tout comme «aux Trois Horloges», un carrefour mythique de Bab El Oued, ou à «Zoudj Aoun» (près de la Place des Martyrs, dans la basse Casbah), c'est un grand sentiment d'impuissance. «En fait, toute cette colère des Algérois, contenue depuis de nombreuses années, se résume dans le fait qu'ils n'ont qu'à de rares occasions bénéficié d'un programme de logements, alors qu'ils vivent dans des conditions extrêmes (parfois plus de 10 personnes dans un humide et délabré 2 pièces)», résume Hocine, qui ajoute «en même temps, la wilaya d'Alger donne des appartements neufs aux habitants de bidonvilles, et autres quartiers insalubres construits à la périphérie de la ville». Une question: «faut-il que nous aussi quittions nos minables 2 pièces pour habiter un village de zinc et de bois pour qu'on daigne enfin regarder dans notre direction ?». TERRASSES, CAVES SQUATTEES Geste de clémence ou hasard des choses que la nature sait si bien provoquer, une opération de relogement de 72 familles de la Casbah d'Alger dont les habitations ont été endommagées par le séisme de vendredi dernier est en cors depuis dimanche dernier. Une opération de relogement cependant organisée dans la nuit. Ce qui a incité beaucoup de riverains à se poser la question de savoir pourquoi la wilaya d'Alger a programmé une telle opération à des horaires indus. «Comme çà, il n'y aura pas de manifestations», laisse tomber un ancien de la Casbah, outré par ces méthodes. Selon le wali d'Alger, «d'autres relogements devraient suivre très prochainement». Avec les terrasses et les caves d'immeubles squattées dans le vieil Alger, au moins 2.000 immeubles et habitations menacent ruine, selon une expertise du Contrôle technique de la construction (CTC). Samedi dernier à Larba, dans la wilaya d'Alger, le chef de l'exécutif de la wilaya d'Alger a en quelque sorte répondu à toutes les interrogations concernant la priorité accordée par la wilaya d'Alger au logement des habitants des bidonvilles qui ont bourgeonné tout autour de la capitale. En conférence de presse à l'issue du relogement de 424 familles du bidonville d'El Hamiz, Abelkader Zoukh a lancé que «le président Bouteflika m'a dit de reloger les habitants de bidonvilles, je les loge». Faut-il se contenter de cette réponse? A Alger, toutes les opérations de relogement et même celle en cours d'un quota en distribution de 25.000 logements, ont majoritairement profité aux occupants de bidonvilles, notamment ceux de Baraki, El Harrach et Gué de Constantine... Plus globalement, la wilaya d'Alger dispose d'un programme total de 84.000 logements destinés... à la lutte contre l'habitat précaire. Autrement dit, pour loger les habitants des bidonvilles qui seront ensuite rasés et serviront d'assiettes pour des projets socio-collectifs. En attendant, «les Algérois, ceux qui s'entassent dans des deux- ou trois-pièces à Bab El Oued, Bologhine, les Annassers, Belouizdad ou Hussein Dey, El Biar et même El Harrach, continueront à vivre dans l'insécurité et à supporter la hogra institutionnelle», dit avec rage Rachid, qui vit avec ses enfants adultes dans un F1 datant des années 1900, tout près du stade de Bologhine, face à la mer, celle de tous ses espoirs perdus. «Nous, nous avons quand même Dieu. Il veille sur nous et nous protège, même si nous vivons dans des maisons qui auraient été ailleurs démolies et leurs habitants relogés», résume, fataliste, Ali, un ancien de la rue Rochambeau, au beau milieu des venelles humides de Bab El Oued, tout près du Boulevard Abderahmane Mira et ses immeubles du début du 20eme siècle longeant le littoral entre Bologhine et le Bastion 23 qui donne sur l'Amirauté d'Alger et la Place des Martyrs. La crise urbaine à Alger sévit depuis les années 1970 avec l'arrivée massive, post-indépendance, de centaines de milliers de ruraux demandeurs d'emploi avec leurs familles. Selon des sociologues, le déficit en logements à Alger est de plus de 2 millions d'unités qu'il faut résorber en moins de cinq ans. Cette équation, qui était de seulement 1,5 million de logements dans les années 1980 et 1990, n'a pour le moment pas été résolue. Et pour cause, avec moins de 100.000 logements réalisés par an actuellement, le déficit ne sera jamais rattrapé, estime un sociologue urbaniste de la faculté d'Alger.