Vigoureux, il se demande souvent, comment faire vibrer des corps vivants à l'âme inerte ou comment réchauffer des cœurs gelés. Retraité, sa pension lui permettant de survivre,il bosse encore pour montrer qu'il est toujours utile,qu'il n'est pas un parasite et qu'il entretient sa santé , faisant ainsi d'une pierre , au moins trois coups. Trouvant superflu de porter une montre, coiffé d'un chapeau de paille, il a rythmé sa vie au mouvement apparent du soleil. Débordant de vitalité,svelte,ne faisant pas ses soixante-quinze printemps, on dirait un jeune homme, à le voir sillonner son village natal, aujourd'hui devenu une petite ville. Une ville comme une autre. Propre et correctement vêtu, connu de la plupart des gens de la ville, il semble vadrouiller, sauf le vendredi, du lever du soleil jusqu'à son zénith, poussant un chariot métallique à deux roues et à manche, un engin de la dimension d'une brouette.Après sasieste sacrée, quand le soleil ne tape plus haut,il se dirigevers des lieux où il est sollicité, pour le jardinage ou autres petits travaux, moyennant un pécule à l'appréciation du client. Toujours souriant, il salue les connaissances qu'il croise, s'arrête quelque fois pour un brin de causette, et répond au salut des jeunes.Le regard futé, l'humour parfois corrosif, il est appeléOncle Mehdi par les jeunes dont certains le trouvent singulier. Et quand on parle de lui, pour éviter toute confusionpossible, on dit de temps à autre " AâmmiMehdi, yerfedh ou yeddi ", c'est à dire celui qui ramasse et emporte. Apprécié par tous, trottant à grand pas,Mehdi bosse apparemment plus qu'avant en poussant son chariot qu'il s'évertue à charger, avec ses mains gantées. Quand son engin est plein, il retourne chez lui où il dispose d'un réduit pour y déposer son " butin ", puis faire une autre tournée, et ainsi de suite toute la matinée, du lever du soleil jusqu'à midi, toute l'année, sauf le vendredi. Nullement bavard, disert juste ce qu'il faut, mais quand il est sans chariot, quand il ne ramasse pas et n'emporte pas.Sinon, le butin de Mehdi provient du ramassage des déchets tels le verre, le métal,le plastique et autre produit d'emballage tels les paquets de cigarettes vides. Il ramasse et il emporte ce que d'autres lancent et balancent en permanence , dans cette ville, où il n'y a en apparence, en dehors des éboueurs du camion , qu'un seul agent communal que l'on voit peu souvent, balayer l'artère principale de ce qui fut un village , aujourd'hui chef-lieu de Daïra. Jamais blessant, gentiment railleur, face à la saleté envahissante, aux ordures éparpillées, aux dépotoirs multipliés, dans chaque coin de la ville, y compris dans ses principales artères, Mehdi proclame, quand on veut saisir son acharnement à ramasser : " Eux ils jettent, moi je ramasse, ils polluent encore, moi je ramasse, la saleté ne va pas avoir raison de ma nature.Comment faire vibrer des corps vivants à l'âme inerte ? Comment réchauffer des cœurs gelés ?" Quand on le fixe du regard, pour voir s'il dit tout vrai, il enchaîne qu'un hadith rapporté par Al-Bukhârî dit que " Chaque pas que le fidèle effectue pour aller à la prière est une aumône et chaque saleté ou toute chose gênante qu'il enlève du chemin est une aumône ".Donc, eux ils jettent et moi je ramasse.Puis quand on lui demande qui c'est eux, le regard malicieux, il rétorque : El Ghachi. Cela rappelle cette polémique née des propos d'un politique, une boutade reprise par beaucoup, en dépit de tout. Triste de voir un peuple transmuté en foule, se reposant sur ses lauriers lâche Mehdi. De plus, Mehdisait qu'ailleurs, le dépôt des déchets préalablement triés et leur ramassage sont réglementés, l'enlèvement des ordures ménagères s'effectuant quotidiennement, celui des produits recyclables et autres matériaux,une fois par semaine, sinon deux.Et l'esprit civique inoculé est présent, simultanément avec la coercition. Ailleurs, chez les enfants de Sidna Aissa, chez les " kouffars " et chez d'autres peuples,note Mehdi. Eberlué par tant de laxisme et d'incivisme, seul contre beaucoup, Mehdi aurait aimé que l'on soit beaucoup contre peu. Et puis, il s 'agit de délimiter les responsabilités, quand on entend souvent dire, chosevérifiable, que des dépenses superfétatoires sont faites, au lieu d'organiser sérieusement la collecte des ordures, de renforcer l'effectif des agents de nettoiement, en dégotant des sources d'un financement censé être rationnellement géré. Comme on ne peut mettre un nettoyeur derrière chaque individu, Mehdi suppose aussi, qu'il vaut mieux nettoyer nos services publics, en " appelant à d'autres fonctions " les responsables inopérants dont des " élus " ; mais dans tous les cas de figure, il s'agit donc de déterminer, dans quel camp se trouve exactement la balle, qu'on se renvoie, telle une patate chaude. Dans toutes les villes de ce pays. Et si l'on sait que le butin de Mehdi, constitué de plastique, de verre et de métal, est probablement vendu à des recycleurs, une façon d'arrondir ses fins de mois, on ignore la destination des paquets de cigarettesvides, d'autant plus que Mehdi ne fume pas.