La dernière ligne droite avant la fête du sacrifice d'Abraham, annoncée pour le 4 ou le 5 octobre, donne le tournis à plus d'un et pour cause. En effet, si le cheptel est disponible en quantités suffisantes, comme constaté ce samedi au marché à bestiaux, dans la wilaya de Tiaret, les prix restent encore élevés comparés à ceux de l'année dernière. Pourtant Hadj Djilali, un éleveur de la région de Aïn Dheb craint de voir les prix chuter à cause de la réouverture des marchés à bestiaux. « Regardez ce mouton, j'ai vendu le même à 50.000 dinars il y a quelques jours, aujourd'hui (Ndlr : samedi 20 septembre), on me propose 38.000 dinars », nous dit-il le regard inquiet et les mains levés vers le ciel. Pour lui, les prix devraient continuer à chuter au fur et à mesure de l'approche du jour « J ». Une « baisse des prix » qui s'expliquerait par un excès d'offre selon un autre éleveur de la région de Rechaiga, présentée ici comme la Mitidja du Sersou. « Les marchés à bestiaux ayant été fermés pendant plusieurs semaines à cause de l'épidémie de fièvre aphteuse, on constate aujourd'hui un surplus de l'offre », nous explique-t-il, ajoutant que ce surplus « est encore renforcé par le fait du tour de vis donné par les services vétérinaires qui n'autorisent pas les éleveurs à vendre leurs bêtes là où ils veulent ». A l'entrée du marché à bestiaux de Sougueur, des agents portants des badges, escortés de policiers, filtrent l'entrée des véhicules chargés de bêtes. Baghdad, un maquignon qui a pignon sur rue à Sougueur, ville du mouton par excellence, va jusqu'à plaider pour un assouplissement de la réglementation pour faciliter les déplacements des cheptels qui sont sains puisqu'ils ne souffrent d'aucune maladie», soutient-il. « Pourquoi exiger automatiquement un certificat du vétérinaire alors que les vétérinaires ne peuvent pas être présents partout ? », s'interroge-t-il. En effet, de nombreux éleveurs souhaitent un assouplissement, voire une annulation pure et simple de ces dispositions, pour faciliter un déplacement plus facile des bêtes, et permettre, du coup, une meilleure disponibilité du mouton. En matière de tarifs, c'est selon votre choix et surtout selon « l'épaisseur » de votre porte-monnaie. Samedi, au marché à bestiaux de Sougueur, un antenais d'une vingtaine de kilogrammes se négociait autour de 34.000 dinars. Quelques mètres plus loin, un maquignon tentait de séduire le chaland avec des bêtes plutôt malingres, proposées à 30.000 DA pièce. «Cette année, c'est plus que certain: l'on fera de la ménagère qu'une seule et unique bouchée; c'est que peu nombreux, pour ne pas dire rares, seront ceux qui se permettront le luxe de consentir le sacrifice suprême, ne serait-ce qu'un agneau de lait», décoche assis sur un tabouret en bois Rabah, un boucher qui a pignon sur rue, rencontré dimanche au marché couvert de la ville de Tiaret. A pratiquement dix jours de l'Aïd, il y a encore le feu aux étalages des bouchers. Cette semaine encore, au marché couvert de la ville, la viande ovine était cédée contre la modique somme de mille trois cents dinars le kilogramme. Peu appréciée par rapport à l'agneau, une chèvre d'à peine vingt kilos flirte avec des niveaux inégalés dépassant les 20.000 dinars. Après la «coupe réglée» du Ramadhan et de l'Aïd, suivie une encablure plus loin par «l'essorage» de la rentrée scolaire, la ménagère n'a même pas eu le temps de faire la «soudure» avec l'autre Aïd qu'elle a déjà un genou par terre. Ceci sans parler des nombreux Algériens qui seront obligés de faire le sacrifice... (sans mauvais jeu de mots) sur une fête à la charge symbolique des plus fortes chez la famille algérienne. « Même si d'aucuns gardent espoir d'acquérir une bête auprès des fermes pilotes où les prix sont plus abordables, les gens sont ruinés; ils n'ont plus d'argent, c'est la dèche totale», confie, d'une voix nouée, un homme enturbanné qui ne cache pas son inquiétude de voir le chaland se faire de plus en plus rare. Véritable baromètre de toute la région pour la mercuriale des prix des viandes rouges, le marché de Sougueur a de tout temps été considéré comme le principal pourvoyeur en bêtes vivantes de pratiquement l'ensemble des wilayas du pays. «Des camions, en provenance de toutes les régions débarquent depuis plusieurs jours à Sougueur pour emporter des cargaisons entières de moutons», s'inquiète un éleveur de Aïn Dheb qui nous dit «craindre Dieu pour ne pas vendre ses bêtes au prix coûtant». «Mais comment expliquer, et encore moins justifier qu'une région qui compte un cheptel ovin parmi les plus importants du pays, le prix de la viande soit si cher», s'interroge un fonctionnaire à la commune de Guertoufa, venu tâter le pouls, à quelques encablures du jour « J ». Pour les gens au fait des «voies impénétrables» du monde de la terre, le renchérissement rédhibitoire de l'aliment de bétail à cause d'une mauvaise saison agricole va directement « impacter » le prix du mouton pourtant disponible en quantités suffisantes. Cette année encore, d'aucuns risquent de tomber dans ce piège tendu par des éleveurs véreux, celui d'acheter un mouton qui sent fort le poulet. En plus clair, un vétérinaire, installé à son compte, nous explique avec force détails qu'à chaque fois que l'aliment de bétail prend l'ascenseur, les éleveurs sont obligés de nourrir leur cheptel avec un aliment préparé à base de farine de volaille, «ce qui a pour conséquence d'engraisser rapidement les bêtes mais surtout leur donner une forte odeur de poulet une fois sacrifiées», nous explique-t-il. Dans ce véritable capharnaüm qu'est le marché à bestiaux de Sougueur, les moutons sont agglutinés par pelotons entiers. Peu avant la fermeture, une vigoureuse bête encornée est soigneusement tenue en laisse par un maquignon au regard vif. Il joue de l'œil dans toutes les directions à la recherche d'un client qui ne viendra sans doute pas. Parce que pour lui, cette année, «logiquement, une bête encornée, tout juste moyenne, ne peut pas être cédée à moins de 50.000,00 dinars», jure-t-il par tous «ses» dieux. Le diktat des maquignons Cette année encore et en vertu d'une «loi» non écrite (vieille comme le monde) les prix des viandes comme ceux d'ailleurs des fruits et légumes s'emballent ces derniers jours. Au marché à bestiaux de Tiaret, rouvert la semaine dernière, si le nombre de têtes de moutons et autres caprins proposés à la vente est très important, les prix battent tous les records: un antenais d'à peine dix-huit kilos est proposé vingt-neuf mille dinars. Qui dit mieux ? Un homme vêtu d'un costume rutilant tâte la toison d'un mouton, comme pour montrer à son «proprio» qu'il n'a nullement l'intention de se laisser berner. Un autre chaland, flanqué de ses deux enfants, vérifie la dentition de la bête encornée pour tenter de déterminer son âge. Il finira par l'acquérir moyennant le tarif «assommant» de 42.000 dinars, sous le regard ravi de ses deux rejetons. Mais ce qui risque de tirer encore plus les prix vers le haut, ce sont ces intermédiaires et autres spéculateurs zélés qui font dans la rétention des cheptels jusqu'au dernier moment. Depuis plus de deux années, à Tiaret comme ailleurs dans le pays, le métier de boucher périclite à vue d'œil. Pour un autre boucher au marché de «Volani», la hausse vertigineuse des prix de la viande fraîche s'explique aussi par l'envahissement du marché local par des quantités astronomiques de viandes congelées. La «période de soudure», comme on dit dans un autre marché, représentée par le grand pèlerinage et l'Aïd El-Adha, est une période où, traditionnellement, les prix des viandes prennent l'ascenseur sans crier gare. Après un Ramadhan «ruineux», suivi dans la foulée par une rentrée scolaire tout aussi «essoreuse», la priorité de la ménagère est-elle disposée à recevoir un... autre coup de corne à son porte-monnaie en sacrifiant à un rite quasi inévitable, quoi qu'il en coûte ? Rien n'est moins sûr. Pour Bachir, un maquignon de «père en fils», comme il se plaît à se présenter lui-même, des «personnes aux gros bras» ont déjà acquis des troupeaux importants de moutons à partir de Djelfa, Biskra, Laghouat, Tissemsilt et Tiaret pour «régenter le marché à leur guise. «Assurément, au rythme où vont les choses, de nombreux Algériens seront contraints de faire l'impasse sur une fête qui n'appartient plus qu'aux gens à gros sous », nous décoche à la figure une dame d'un certain âge, venue au marché couvert de Tiaret prendre la température, histoire de faire ses comptes et voir si son budget peut lui permettre un sacrifice pas comme les autres !