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Sans relâche de Antoine Bourseiller : La vraie histoire du théâtre français
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 20 - 10 - 2014

Passionnant, ce livre-mémoires qui tente, en empruntant les sentiers escarpés d'une écriture éclatée faisant mouvoir des souvenirs vécus, des événements parfois rocambolesques, donnant à voir, en petites touches, l'histoire du théâtre français de ces dernières décennies. L'auteur, Antoine Bourseiller, acteur, metteur en scène, directeur de théâtre et d'opéra, ce génial touche à tout, est souvent séduit par le débroussaillage de nouveaux talents et de valeurs inconnues. C'est ce qui fait sa particularité. Ce livre de souvenirs qui se lit comme un roman, fonctionnant comme une sorte de contre-mémoires, fait porter aux personnages des costumes fleuris, dégageant une extraordinaire gaieté. Danièle Delorme, élégante actrice, éclatante de générosité côtoie Albert Camus qui pousse encore plus l'auteur à ne pas hésiter à se lancer dans l'aventure théâtrale dont Jean Vilar réussira à lui inculquer les premiers rudiments. C'est un défilé de portraits esquissés à l'image d'un peintre qui insiste sur les traits singuliers de la personne tout en injectant une lueur et une couleur poétique. Jean Luc Godard, avec ses lunettes et son mouchoir d'une immaculée blancheur et ses gestes maladroits, trop passionné et génial permet à Antoine Bourseiller de découvrir le vrai cinéma, celui de la nouvelle vague. Le grand écrivain allemand, Günter Grass, Jean Genet, Samuel Beckett et Jean Louis Barrault lui insufflent la grande passion des grands textes. Brigitte Bardot, avec sa légèreté et sa fragilité, lui apportent une certaine jeunesse, lui, l'amoureux fou des femmes, avant de s'enfermer dans un amour fou, comme celui de Mejnoun Leila, adorant jusqu'au tréfonds de la vie, cette Balkis, trônant comme une insaisissable étoile, actrice rayonnante.
A côté de ces figures célèbres, d'autres peu ou pas connues, paysages humains peuplent ce texte, machinistes ou électriciens de scène, étudiants de Californie, lui apportant une force extraordinaire. Antoine Bourseiller promène le lecteur dans ses territoires longtemps protégés, mais désormais révélés au monde à travers l'image de la fille de l'auteur, Marie, fonctionnant comme une sorte de gardienne d'un feu profane. Il apporte, par bribes et à l'aide d'anecdotes, souvent sulfureuse, une singulière histoire du théâtre français. Bourseiller est au cœur de cette expérience, un homme-théâtre, qui conjugue de manière extraordinaire les différents métiers du spectacle vivant. L'humour corrosif dialogue avec une profonde gravité. On passe de Genet, riant de tout, contestant tout dans une cité américaine, n'ayant même pas de visa d'entrée (il était indésirable aux Etats Unis) à la maladie de l'épouse adorée en passant par cette jeune fille rencontrée dans un moment d'anxiété à ces moments de passion et d'enthousiasme de Godard et ce grand élan de générosité d'une grande dame Danièle Delorme, offrant au jeune bidasse un billet qui en valait tant d'autres à l'époque. L'auteur dit combien étaient merveilleux ces temps d'une naïve insouciance et d'une profonde fragilité.
Il est question dans ce texte de publics, de récepteurs pluriels, chacun vivant le spectacle à sa manière, jusqu'à la violence comme lors de la représentation d'une pièce particulièrement subversive, prenant Jésus comme espace thématique, qui fait réagir des catholiques intégristes, utilisant tous les moyens pour arrêter la représentation. Rien n'y fait, Bourseiller habité par le génie du théâtre raconte, revient à ses moments de jouissance théâtrale et à son désir enflammé d'explorer les paysages féminins. Il dit le théâtre, à travers les auteurs, les acteurs et les metteurs en scène qu'il a côtoyés et les nombreuses aventures féminines qui ont, elles aussi, contribué à former l'homme qui doit beaucoup à ceux qui lui ont appris le métier, à Camus, Vilar, Planchon, Barrault, Gérard Philippe et bien d'autres personnes qui ont apporté au théâtre une nouvelle manière de dire le monde.
«Sans relâche» est plus qu'un journal ou une sorte de narration mémorielle, il est le roman du théâtre en France.
«Sans relâche» de Antoine Bourseiller, Actes Sud, 2008


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