Infamante est l'actualité effervescente de cette Afrique qui ne se relève jamais de sa descente aux enfers, toujours assise au bord de l'abîme ; éplorée comme une vierge dépucelée en face de ses bourreaux. Triste est ce continent dépendant des aises des autres où les coups d'Etats sont l'abécédaire du logiciel mental de certaines élites déconnectées, plus promptes à composer dans le registre du complot et du tragique qu'à jouer la symphonie de l'alternance et du changement pacifique. Pitoyables sont ces pays devenus dépotoirs de despotes courant à qui mieux mieux en vue de réaliser des records de longévité, sacrifiant et libertés et constitutions au lieu de servir l'intérêt suprême de leurs concitoyens. Les plaintes se succèdent hélas en autant de points de suspension, révélateurs d'un mal endémique, d'une blessure, d'un abcès. Dès qu'une lueur d'espoir nous fait sourire, je parle bien évidemment de cette Tunisie post-révolutionnaire qui s'est sauvée in extremis aussi bien de l'enclume dictatoriale de Ben Ali l'ayant mis des années durant au rebut de l'histoire que de l'islamisme politique entretenu dans son ombre, un torrent de tristesse et une suie d'infamie, noires, des pires qui soient maculeront de leur laideur nos fronts. Sommes-nous ces éternels damnés de la planète à qui rien ne puisse convenir? Sommes-nous ces oubliés de la modernité? Ces ratés du destin? Autrement dit, ces peuples incompatibles avec toute idée du progrès. Et puis jusqu'à quand continuera-t-on à suivre les autres et à nous oublier nous-mêmes? J'ai cité dans l'une de mes précédentes chroniques l'exemple de cette militante altermondialiste malienne Aminata Traoré qui, un jour, dirait que nous (les africains) avions la haine de nous-mêmes. Il me semble que, toutes proportions gardées, la moitié de la réponse à mes interrogations est là. Mama Africa est cette terre saccagée par les reniements de ses enfants, épuisée par les épreuves et privée de toute espérance. Du camerounais Paul Biya au zimbabwéen Robert Mugabe, du rwandais Paul Kagame au récent fuyard burkinabé Blaise Compaoré, elle célèbre chaque année sans le vouloir le deuil de la démocratie. Un douloureux et interminable chemin de croix qui l'a mené du militarisme aux guérillas urbaines, des épidémies diverses aux guerres intestines, des jacqueries aux pronunciamientos quand les sécheresses et les famines, deux phénomènes routiniers à des pans entiers de la population, n'ont pas déjà sapé ce qui y reste de si vivant, de si sensible et de si humain. Nos salves de colère font des concessions à l'amertume, des plaidoyers acharnés se flétrissant dans un cercle vicieux dont les antipodes sont l'instabilité et l'autoritarisme. L'impuissance de nos gouvernants et leur trahison nous poussent dans les bras d'une solitude glacée, notre ultime réflexe de survie en ces temps cruels où pourtant, partout sur la surface du globe, les nations se solidarisent, s'entraident et forment un bloc solide pour lutter contre les rigueurs d'une mondialisation sauvage. Parfois, l'expérience unique en son époque qu'a tentée le colonel El-Gueddafi de rassembler les populations africaines, quoiqu'à vrai dire folklorique et sentant l'odeur tribale de la défunte «Jamahiriya», nous met aujourd'hui en plein carrefour des sens ; face à nos dilemmes : l'union sacrée ou la disparition forcée? A choisir entre le pile ou le face du jeu de dés politique! N'a-t-il pas eu la primeur de penser à l'idée des «Etats Unis d'Afrique»? Et par là, ne nous a-t-il pas averti sur les dangers de la désunion et aussi sur le besoin stressant de fédérer les forces et les synergies pour sortir de l'orbite de la soumission? Ce qui fera de notre continent une tribune à partir de laquelle il sera possible de se faire valoir et de donner une autre image, certes plus authentique, de nous-mêmes. Pas sûr qu'on soit en mesure d'y arriver en tous cas sans un investissement au long cours dans le savoir et l'apprentissage de la citoyenneté. Ce que ce même dictateur a superbement ignoré durant ces 42 ans de règne sans partage en Libye. Un pays au bord du chaos aujourd'hui. Car mal-préparé, peu initié au projet tout aussi politique, éducatif que culturel et ayant jeté ses assises sur les équilibres tribaux, il patauge dans les séditions et «l'infra-démocratie post-révolutionnaire» où les règlements de compte, le partage éhonté des territoires entre factions en lutte, la course derrière les glorioles sont vus comme autant de symboles de puissance et dupouvoir. Comme partout ailleurs dans les autres pays africains (Soudan, Egypte, Mali, Algérie, etc.), la facture de la bureaucratie est un peu trop salée que prévue, les dictatures se renforcent dans un maillage institutionnel compliqué et le réflexe tribal presque congénital des maîtres de céans s'est trouvé ses frères jumeaux dans la fosse septique de la corruption et du bakchich. En spectatrice de son dépeçage (richesses souterraines), mama Africa se donne l'illusion de la transition démocratique, espère et attend en vain des jours meilleurs. En revanche, ayant depuis longtemps l'appui des chancelleries occidentales, les grandes muettes s'interposent souvent en gardiennes de la citadelle assiégée lorsque l'équation du statu quo sera inversée par la voix révoltée de la masse. De protectrices de peuples, les armées africaines sont devenues, presque toutes, des usurpatrices du vouloir collectif, jouant parfois la carte de l'hostilité frontalière pour maintenir leur suprématie sur les rouages des systèmes de gouvernance. Les discours n'ont jamais accompagné les actes. La volonté des leaders, quoique parfois de bonne foi, est souvent ligotée par les impératifs de la survie. Eduquer les peuples n'a jamais fait l'affaire de nos apparatchiks, gourous d'appareils et chevronnés de la manipulation massive. On a découvert et on découvre encore avec effarement leur appétit vorace. Potentats têtus, accrochés aux parures des trônes, niant la logique des choses et allant à contre-courant de la roue de l'histoire. On a vu décapiter les rêves de notre jeunesse, s'éteindre sa voix, bridée par la mélancolie, le désenchantement, l'exil et le désespoir. L'Afrique est ce continent riche dont la pauvreté est reine, une terre arrosée par d'incessants contrastes (hyperrichesse d'une minorité et hyperpauvreté d'une majorité), défouloir à toutes les convoitises impérialistes, cible de toutes les dérives et les entreprises néocolonialistes. Le plus atterrant dans ce décorum est que ses maîtres autoproclamés issus pour la plupart des vieilles gardes nationalistes ayant milité pour son salut et son indépendance confortent cette vision simpliste, archistéréotypée et rétrograde d'un continent qui ne pourrait vivre que sous tutelle. Du reliquat de la francophonie héritée de la période coloniale aux différentes compromissions avec d'anciennes puissances (Belgique, Allemagne, Grande-Bretagne, etc.), la majorité des pays de notre continent traînent d'encombrantes casseroles derrière le dos comme enchaînés par leur propre destin de «périphéries» indissolublement liées au «centre» européen, occidental, étranger. Si aujourd'hui le Burkina Faso est sous les feux de rampe médiatique, c'est parce que son leader, vieux de 27 ans de règne est enfin chassé du pouvoir par une plèbe en furie, soutenu qu'il est pendant toute cette villégiature prolongée de «l'extérieur». Cet étranger-là qui fait, refait et défait le sacre de nos princes sans que nous n'ayons le moindre droit d'y opposer un veto ni d'y formuler une objection. Hier, c'était pareil aussi, en Somalie, en Mauritanie, au Congo, en Côte d'Ivoire et en Centrafrique. Le schéma est souvent le même, des têtes surgies du néant deviennent vite des leaders incontestés au prix des divisions profondes dans la société. Puis, une fois installées, elles ne relâchent plus la bride, déployant des trésors de patience et de ruse pour rester aux commandes le plus longtemps possible. La surdité politique est cette marque de fabrique d'une l'Afrique claudicante qui donne une raclée à tout espoir de construction démocratique, d'union et de solidarité interétatique dans le cadre de l'Etat de droit. * Universitaire