La question peut surprendre plus d'un, mais elle est légitime : l'Algérie est-elle encore africaine ? L'Algérie se trouve-t-elle bien en Afrique ? L'Algérien connaît-il l'Afrique ? On se le demande parfois, lorsqu'on voit l'absence de la culture africaine dans la culture algérienne. Si on est d'accord pour reconnaître que l'Algérie a une culture nationale multiple — qui comprend la culture amazighe, arabe et occidentale — elle a aussi des racines dans la culture africaine. Pour ceux qui ont tendance à l'oublier -l'homme de la rue autant que les leaders politiques — l'Algérie est « dans » l'Afrique. Cependant, lorsqu'on analyse les liens entre l'Algérie et l'Afrique sur tous les plans — économique, politique, culturel, linguistique, etc — on voit que ces liens sont quasiment inexistants. En effet, en dépit des discours qui se sont succédé depuis l'indépendance et qui maintiennent la volonté de l'Algérie à établir et à développer des liens avec l'Afrique, l'Algérie est quasiment absente des relations avec l'Afrique sur le terrain. Par ailleurs, l'« Unité africaine », dont ont rêvé les Nkrumah, Boumediène, Nyéréré, Senghor et les autres, et que l'Union africaine s'efforce de construire depuis les indépendances, — ne peut voir le jour que si chaque pays africain y contribue effectivement sur le terrain. Je ne veux pas nier complètement que quelques pas aient été franchis par l'Algérie dans cette direction, notamment dans le domaine de la construction des routes et celui des hydrocarbures, mais les résultats ne sont pas visibles et perceptibles pour l'Africain de la rue. L'exemple qui peut sans doute illustrer cette absence de relations Algérie-Afrique est celui du transport. J'étais au Ghana et je devais me rendre en Algérie pour une urgence familiale. Pour aller du Ghana en Algérie — le Ghana se trouvant juste au-dessous de l'Algérie, du côté ouest —, j'étais obligé d'aller d'abord à Paris ou à Amsterdam avant de pouvoir rejoindre mon pays. Et bien sûr je ne suis pas arrivé au moment voulu. Qu'a-t-on fait pour tisser un réseau de transport entre l'Algérie et le reste de l'Afrique ? On peut me rétorquer que l'Algérie n'est pas la seule impliquée dans ce « business », mais elle peut redevenir le pourvoyeur d'idées qu'elle était dans les premières années de l'indépendance. On me dira aussi qu'il y a des stratégies des pays développés et de leurs compagnies aériennes qui font tout pour contrecarrer un tel projet. Je répondrai que c'est précisément dans ces situations que l'union fait la force et que les Africains doivent se donner la main pour aller de l'avant ensemble. L'Algérie doit donc recentrer sa politique sur le continent où elle a ses racines. Certains diront que ce recentrage serait contraire au mouvement de la globalisation et à la construction du village global tant rêvé par les peuples. Croire à l'« unité africaine » Cela est un faux débat. Tisser des liens au niveau régional et continental ne va pas dans un sens opposé à celui de la globalisation, mais va au contraire dans la même direction. Il est donc temps que notre pays cesse de tourner le dos à son continent d'origine et qu'il se place face à lui pour construire avec lui l'idée noble d'« unité » à laquelle les peuples africains ont cessé de croire. Comment peut-il contribuer à la réalisation de cette idée sans laquelle il n'y aurait ni globalisation ni développement continental ? C'est à cette question que tentera de répondre cet article. Notre pays doit adopter une position qui est certes difficile à prendre — en raison précisément du faux débat sur la manière d'aller vers la globalisation — mais qui sera porteuse de fruits pour l'Algérie elle-même et pour le continent dans son ensemble. Et cela pour plusieurs raisons. La première raison est que l'Algérie est au cœur de l'Afrique et en est un membre à part entière. En tant que membre de l'Afrique, elle a des droits mais aussi des devoirs. L'un de ces devoirs est précisément de contribuer effectivement à l'effort du développement du continent. La deuxième raison est que l'Afrique est un continent riche dans plusieurs domaines : riche en ressources naturelles de toutes sortes, riche en ressources humaines, riche en ressources culturelles variées. Le paradoxe est que, en dépit de toutes ces richesses, l'Afrique est le continent le plus pauvre du monde. Ce n'est pas l'endroit ici de revenir sur les causes de cette paupérisation du continent. Cela devrait faire l'objet d'un autre article. Il faut donc prendre l'état du continent tel qu'il est actuellement et réfléchir aux voies et moyens de le remettre debout. Je dis que l'Algérie a un rôle à jouer dans le déclenchement de cette révolution tant au niveau de la pensée que de la réalisation. Au plan de l'approche régionale, l'Algérie devrait bâtir sa stratégie de développement en ayant à l'esprit de contribuer au développement économique du continent dans son ensemble. Elle devrait arrêter de raisonner au niveau microrégional (du Maghreb) mais avoir une vision macro-continentale. En effet, le résultat de l'approche microrégionale est que l'Afrique s'est trouvée divisée en deux : la « White Africa » et la « Black Africa ». Lorsque j'étais au Ghana et que je discutais avec mes collègues et amis ghanéens, j'étais surpris qu'ils s'adressaient à moi en disant toujours « You, White people, you do this, you don't do that ». Cela me faisait tellement mal, que je leur rappelle que je suis Africain à part entière et qu'ils doivent cesser de me considérer comme un Blanc. Pour mes amis ghanéens, les Algériens et les Maghrébins en général ne sont pas des Africains parce qu'ils sont plus clairs qu'eux et qu'ils sont orientés vers l'Occident et particulièrement l'Europe. Il y a donc beaucoup à faire dans ce domaine pour déconstruire ces divisions fictives et construire une Afrique unie ayant un fort « bargaining power » face aux continents développés. L'Algérie peut et doit montrer qu'elle est africaine à part entière. Toujours au plan régional, l'autre division contre laquelle l'Algérie peut et doit lutter est celle entre « francophone Africa » et « anglophone Africa ». Une des manières de lutte contre cette division héritée des colonialismes français et britannique est que l'Algérie réfléchisse aux voies et moyens d'établir un dialogue entre ces deux et mêmes facettes de l'Afrique. Il ne peut y avoir d'unité africaine tant que ces deux Afrique continueront à jouer le jeu des deux néo-colonialismes. Au plan économique, l'Afrique dispose de toutes les ressources naturelles dont elle a besoin pour devenir un continent développé, c'est-à-dire autosuffisant et exportateur. Ici aussi, si l'Algérie doit redynamiser le développement sous-régional au niveau des pays du Maghreb, elle ne doit pas oublier que ce développement doit s'inscrire dans un cadre plus large qui est celui du développement du continent dans sa totalité. Le paradoxe ici aussi est que, en dépit du fait que l'Afrique produit certains biens de consommation et d'équipement, les pays africains continuent toujours d'importer ces biens d'Europe ou du reste du monde. L'Afrique nourrit le monde, mais n'arrive pas à se nourrir elle-même. Le résultat est que les échanges intra-africains sont quasiment nuls. Le même problème est rencontré dans le domaine des ressources humaines. Bien que plusieurs pays africains aient formé des cadres dans plusieurs domaines qui pourraient servir dans d'autres pays africains qui en ont besoin, l'Afrique importe toujours des « compétences » d'Europe et d'ailleurs. Le paradoxe est que l'Afrique fournit les meilleurs cerveaux au monde, mais n'arrive pas à se « manager » elle-même. L'Algérie peut jouer un rôle dans le redressement de cette situation contradictoire en redynamisant ses relations avec les pays du continent sur le plan du développement et du management de ses ressources humaines. Booster les échanges culturels Au plan culturel, l'Afrique dispose de richesses nombreuses et variées. Que ce soit dans les arts (sculpture du bois, peinture, poterie, etc.), de la musique (la musique africaine est à la base de plusieurs musiques occidentales et orientales dites classiques), de la danse (la danse africaine est des plus harmonieuses du monde et a inspiré beaucoup de danses également dites classiques), les folklores (le design des vêtements, les masques, l'organisation tribale, etc.) ne cessent de susciter la curiosité des autres peuples du monde. Un autre domaine qui tend à prendre de l'importance en Afrique est la mode, notamment vestimentaire. Le design, les motifs et les couleurs des vêtements africains sont aussi en train de conquérir le monde. On voit de plus en plus d'expositions de mode dans les grandes villes africaines et ces expositions drainent un grand nombre de touristes étrangers. L'Algérie, en tant que membre du continent, a aussi une grande richesse dans tous ces différents domaines. Elle doit donc faire connaître aux autres pays africains cette richesse et chercher à connaître les richesses culturelles des autres pays africains. Par exemple, la récente organisation par notre pays de « Alger, capitale de la culture arabe, si elle s'inscrit dans la recherche de l'identité multiple, devrait être accompagnée de l'organisation d'un autre événement que l'on pourrait appeler « Alger, capitale de la culture africaine ». La situation actuelle sur le plan des échanges tend quasiment vers zéro. L'Algérie doit donc élaborer une politique pour booster ces échanges culturels dans les deux sens. Au plan politique, la situation en Afrique est caractérisée par une instabilité « chronique » qui ne facilite pas les actions de développement dans les domaines évoqués ci-dessus. Dans la plupart des pays d'Afrique, les conflits entre ethnies et régions ainsi que de véritables guerres civiles rongent le continent au quotidien. En Algérie, la situation sécuritaire, même si elle s'est relativement améliorée ces dernières années, reste toujours précaire si on en juge par la reprise des récentes agressions dans les régions d'Alger et de Kabylie. L'Algérie peut profiter de l'expérience de certains pays africains (Nigeria, Mali, Ghana, Mauritanie et autres) en matière de règlement des conflits internes et elle peut aussi faire bénéficier les autres pays africains de son expérience dans ce domaine. Il ne faut pas attendre que ces conflits deviennent ingérables pour intervenir, mais au contraire élaborer des politiques de prévention de ces conflits. Or, dans l'état actuel des choses, en dehors des actions de « pompiers » menées dans le cadre de l'Union africaine dans les cas de crises politiques entre pays africains, les pays africains n'échangent pas leurs expériences dans la prévention des risques politiques qui menacent leur stabilité dans les autres domaines de la vie sociale. L'Algérie doit donc élaborer sa stratégie de développement nationale en l'intégrant dans une stratégie plus globale incluant la dimension africaine. Cette stratégie devrait consister en l'établissement d'un réseau de relations avec les pays africains dans les différents domaines de l'économie, de la politique et de la culture. Une telle stratégie — si elle est bien pensée et formulée — pourra réaliser les deux objectifs souvent considérés contradictoires, mais en réalité complémentaires : permettre à l'Afrique d'atteindre le niveau de développement qu'elle mérite compte tenu de ses immenses ressources et acquérir un certain « bargaining power » qui l'aidera à se hisser au rang de continent « citoyen » du monde pouvant contribuer en tant que tel au mouvement de globalisation de la planète. Sans une telle stratégie, l'Algérie et l'Afrique seront toujours reléguées au rang de pays marginaux qu'on continuera toujours d'appeler « pays du Tiers-Monde » (ou plutôt du second monde, maintenant que le second monde a disparu), de « pays sous-développés », de « pays en développement », etc. L'Algérie, si elle veut recouvrer son identité multiple, doit donc, en même temps qu'elle doit continuer à œuvrer dans le cadre de l'Unité africaine, s'engager dans une politique « one to one » avec les pays africains et construire avec eux un continent capable de faire valoir sa voix dans le concert des nations . L'auteur est : Ph. en économie, Master of Arts in African Litterature, Professeur à l'Institut international de Management, Béjaïa