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Le réveil grec et la sidération de l'Europe
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 28 - 01 - 2015

Un premier gouvernement de gauche radicale va siéger et négocier avec les 18 autres gouvernements libéraux de la zone euro dont il est membre. Grosse impasse pour l'Europe entière et peur de l'effet domino.
Dès l'annonce de la victoire du parti Syriza aux élections législatives grecques, les gouvernements européens, en particulier ceux des dix-huit autres pays de la zone euro, ont réagi de concert pour mettre en garde le nouveau gouvernement grec mené par la gauche radicale à respecter les engagements pris par le précédent gouvernement libéral : la poursuite des réformes structurelles drastiques imposées par la Troïka (Banque centrale européenne, FMI et Union européenne) et le respect de l'échéancier du remboursement de la dette autant que ses taux d'intérêts. Autrement dit, comme s'il n'y a eu aucun changement politique majeur en Grèce, alors même que les élections du week-end dernier ont été tenues avant l'échéance légale prévue pour juin 2016 (18 mois à l'avance) en raison, justement, des conséquences sociales et économiques catastrophiques du plan d'austérité imposé par la Troïka au peuple grec. Du coup, les appels à la «raison» au leader et nouveau Premier ministre grec, Alexis Tsipras, à gérer dans la continuité du précédent gouvernement les affaires du pays sont absurdes, sinon provocateurs aux choix des électeurs grecs. En réalité, l'Europe libérale est surprise et affolée d'assister à l'arrivée en son sein d'un gouvernement d'obédience gauche radicale allié avec un parti eurosceptique qu'est le parti ANEL de Panos Kammenos, dit parti des Grecs indépendants. Syriza a raflé 149 sièges sur les 300 que compte le Parlement grec. Il lui maquait 2 sièges pour avoir la majorité absolue, il les a cherchés chez les indépendants grecs qui ont gagné 13 sièges. Désormais, dans les 19 pays que compte la zone euro, il y a un pays anticapitaliste de gauche face aux 18 autres d'obédience libérale. Ce sera très dur de construire des consensus sur les questions monétaires et économiques qui conditionnent toutes les politiques économiques de l'Union européenne. Quelle est la situation de la Grèce aujourd'hui et pourquoi tant de réserves et de peur de l'Europe face à ce jeune homme de 40 ans qu'est Alexis Tsipras ? La Grèce doit plus de 321 milliards d'euros répartis comme suit : 32 milliards dus au FMI, 53 milliards dus aux prêts bilatéraux aux pays de l'UE et 141,8 milliards dus au Mécanisme européen de stabilité (MES). La dette représente 175% de déficit public et elle est détenue à 70% par des institutions publiques (Etat, banques publiques). Cette situation catastrophique de la Grèce n'est pas nouvelle puisque ce fut le pays qui encaissa le plus gros choc de la crise financière internationale qui a frappé l'Occident (Europe et USA) à partir de 2007- 2008. En faillite, la Grèce a reçu le «soutien» conditionné de l'UE, plus précisément des 16 pays d'alors de la zone euro. Un plan drastique d'austérité lui a été imposé par la Troïka qui a mené aujourd'hui la Grèce à une situation plus catastrophique que durant le début de la crise : chômage de masse (25% de la population active), liquidation des services sociaux, réduction jusqu'à 50% des salaires, fermeture tous azimuts d'entreprises, licenciements massifs dans le secteur public, réduction jusqu'à 30% des retraites et pensions, fuite des diplômés et travailleurs qualifiés, etc. Comment un plan d'aide censé donner plus de souffle et d'espérance au peuple grec a-t-il pu aggraver sa situation en le plongeant dans une spirale infernale d'appauvrissement et de désespoir ? C'est que le système libéral dominant en Europe obéit à la logique du profit financier : il ne prête (ne donne jamais gratuitement) qu'avec l'objectif de maximiser encore plus ses gains et bénéfices. Exemple : les taux d'intérêts appliqués à la Grèce sur les marchés financiers sont de 10% sur dix ans, quand la France emprunte à un taux de 0,6%. Cela veut dire que la Grèce, réduite au chômage et à une croissance négative, va passer le restant de sa vie à rembourser le service de la dette qui, elle-même, va s'amplifier. Autre exemple concret de la soi-disant solidarité européenne : la Grèce rembourse chaque année, depuis le plan d'aide de la Troïka (2009-2010), 60 milliards d'euros à l'Allemagne et 40 milliards d'euros à la France en intérêts. 100 milliards d'euros pour deux pays chaque année partent dans le «service de la dette». Du coup, le pays n'a plus les moyens financiers de relancer les investissements productifs et la machine économique nationale. Le pays sombre dans la décroissance, le chômage de masse et la violence sociale. C'est cette situation suicidaire et absurde, imposée au nom de l'austérité, qui a poussé les Grecs à choisir Syriza qui promet de les sortir du piège de la Troïka et son plan d'austérité imposé. Le comble est que la Troïka, soit le FMI, la BCE et la Commission européenne, a reconnu publiquement que les plans d'austérité ne paient plus et n'amènent pas la croissance tant recherchée. Alors, pourquoi persister à imposer l'austérité économique aux pays en difficultés ? Le nouveau gouvernement grec installé dès le lendemain des élections se veut pragmatique : il veut rester dans la zone euro et négocier une autre alternative à l'austérité. Plusieurs autres moyens de sortir son pays du cercle infernal de l'endettement existent : un moratoire de quelques années (3 ou 5 ans) sur le service de la dette, un échelonnement de la dette sur un temps plus long (20 ou 30 ans), une recapitalisation des banques grecques par le gouvernement grec sans que cela soit comptabilisé dans la dette publique, un effacement d'une partie de la dette (cela a été le cas pour d'autres pays, y compris l'Allemagne, à quatre reprises depuis 1923), etc. Les responsables gouvernementaux créditeurs de la Grèce savent et connaissent tous ces mécanismes, mais ils persistent à l'enfermer dans la logique du capitalisme financier dont ils ne sont plus que les courtiers. En réalité, ce sont les spéculateurs du marché mondial de la finance qui sont affolés par l'arrivée de la gauche radicale au pouvoir en Grèce. Ils sont face à un «adversaire» qui connaît leur seule logique du profit immédiat et dispose de la parade : la révision à des conditions raisonnables du plan d'aide, auquel cas, la Grèce dépose le bilan et prononce sa propre faillite. Devenue insolvable, elle quittera la zone euro sans payer ses dettes. C'est ce que redoutent les pays de la zone euro. Pire, en accédant à quelques compromis, facilités ou report d'échéances demandés par les Grecs, les pays de la zone euro craignent que ce sera au tour des autres pays surendettés de suivre l'exemple grec. Le Portugal, l'Espagne, l'Irlande et l'Italie attendent de voir la suite. L'Europe de la zone euro est prise dans le piège de sa propre logique capitalistique. A moins que l'annonce de la BCE de faire marcher la planche à billets en injectant 300 milliards d'euros chaque mois dans l'économie européenne, sur un durée de 18 mois, ne vienne calmer les appétits pressants du monde de la spéculation financière mondiale. La BCE l'a annoncé en début de ce mois de janvier 2015. Une étrange coïncidence avec le bouleversement politique venu de Grèce et prévu depuis quelques mois déjà.

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