Le Forum des chefs d'entreprises veut bousculer les lignes. Bénéficiant de la proximité de son président Ali Haddad avec l'entourage du président Bouteflika, il veut ouvrir tous les secteurs à l'investissement privé. Le Nouveau FCE se met en place. Et il montre ses appétits. Depuis l'intronisation de Ali Haddad à la tête de ce think-tank, au lendemain de la présidentielle de 2014, le Forum des chefs d'entreprises est passé de 260 à 1.000 entreprises. Il a doublé de volume en seulement cinq mois, selon son vice-président, M. Salah-Eddine Abdessemed. Le FCE a aussi assumé sa mutation. De cercle de réflexion, organisé à la manière d'un lobby aussi puissant qu'introduit, avec des adhésions gérées par cooptation, il est devenu une organisation patronale assumée, proche du pouvoir, grâce à la proximité entre son président et M. Saïd Bouteflika, le frère du chef de l'Etat. Il revendique désormais le leadership de l'organisation patronale et compte mettre en place une organisation très présente sur le terrain, avec des ramifications dans toutes les wilayas. Le FCE lancera dès le 15 avril une opération pour avoir deux représentants par wilaya. Dans le même temps, il veut s'organiser autrement pour mieux s'adapter aux besoins des entreprises. TPE, PME, grandes entreprises et groupes de dimension internationale ont des aspirations différentes, auxquelles l'organisation veut s'adapter, pour « aller plus dans l'action », après une période faste consacrée à la médiatisation de ses revendications et à l'installation des nouvelles équipes. DIFFICILE DE FAIRE BOUGER LES LIGNES Malgré cette présence très forte, le FCE n'arrive pourtant pas à «faire bouger les lignes». Certes, Louisa Hanoun, présidente du Parti des travailleurs, n'hésite pas à comparer les dirigeants du FCE à des «oligarques» qu'elle accuse de vouloir dépecer l'économie algérienne. Mais les résultats obtenus par le FCE dans les négociations publiques et dans les actions de proximité, plus discrètes, n'ont pas transformé l'économie algérienne. Sur le papier, le FCE a pratiquement tout obtenu. Les tripartites ont souvent donné lieu à une longue série de décisions qui apparaissent comme autant de concessions faites au patronat. Mais concrètement, les choses n'évoluent guère, quand elles ne s'aggravent pas, comme c'est le cas avec l'IBS, une mesure considérée par le FCE comme un « très mauvais signal » à l'adresse du monde de l'entreprise. Le FCE demande d'ailleurs que le gouvernement revienne sur cette décision dans la loi de finances complémentaire. Dans la même logique, il continue d'énumérer sa longue série de revendications, ne se fixant plus de frontières : ouverture de tous les secteurs à l'investissement privé, notamment le transport aérien, ainsi que la disparition de la TAP (taxe sur l'activité professionnelle, 2% du chiffre d'affaires), qu'il considère comme un impôt « injuste » encourageant l'informel. DIVERGENCES AVEC LE GOUVERNEMENT Malgré la proximité avec l'exécutif, le FCE note cependant une série de divergences avec la bureaucratie gouvernementale. Sur le contingentement des importations, avec le retour aux autorisations d'importation annoncé par le ministre du Commerce Amara Benyounès, le FCE affirme qu'il « ne croit pas aux réponses administratives » pour faire face aux difficultés économiques. « Ce n'est pas une solution à long terme », affirme un de ses dirigeants. Le FCE déplore aussi que le gouvernement n'arrive pas à trancher, une fois pour toutes, sur l'économie informelle. M. Abdessemed affirme d'ailleurs que le FCE n'a « jamais admis les reculades du gouvernement » sur l'obligation d'utiliser le chèque dans les transactions commerciales. Pour le FCE, le constat est donc mitigé. Ses dirigeants affirment qu'ils ont l'oreille du gouvernement, et celui-ci prend officiellement les mesures souhaitées. Mais sur le terrain, le changement n'a pas lieu et le fameux « climat des affaires » n'évolue guère. Essentiellement à cause du manque d'emprise de l'administration sur le réel. COMBINES ET AFFAIRES La transparence est d'ailleurs un leitmotiv qui revient régulièrement dans le discours du FCE. Une revendication écornée cette semaine avec les révélations sur un terrain obtenu par M. Ali Haddad, président du FCE, dans la commune de Hussein-Dey, près de la gare routière d'Alger. Le terrain, d'une superficie de 2.5 hectares, serait d'une valeur supérieure à deux milliards de dinars, selon les estimations d'un agent immobilier. Le transfert a eu lieu dans la discrétion, sans que le prix de cession ne soit connu. Une pratique très répandue dans le monde des affaires en Algérie, où le discours sur la transparence des transactions et la lutte contre l'informel occulte des pratiques très archaïques. Le discours sur le fonctionnement du FCE reste lui aussi très décalé de la réalité. La manière dont avait été débarqué l'ancien président du FCE Rédha Hamiani, pour le peu d'enthousiasme manifesté à propos du quatrième mandat, puis l'élection de son successeur à mains levées, ont montré que les règles démocratiques prônées n'étaient pas très en vigueur. Comme dans l'activité économie, le FCE est plus proche de la combine que des affaires. Les membres du FCE ne s'en plaignent pas. Bien au contraire. L'objectif final du FCE, qui développe une communication très efficace, n'est pas le mode de fonctionnement, mais l'efficacité, affirme un chef d'entreprise. Et sur ce terrain, le patronat algérien sait faire. Même s'il a tendance à piétiner les règles qu'il affirme défendre.