Contraint par une conjoncture peu favorable ou convaincu par le nouvel homme fort du Forum des chefs d'entreprises (FCE), le gouvernement n'a jamais été aussi réceptif aux doléances des chefs d'entreprises. Ceci, à telle enseigne que des secteurs fermés au privé depuis le fiasco de l'affaire Khalifa comme le transport aérien seraient à nouveau ouverts. La Banque d'Algérie autorise les transferts de capitaux pour les besoins d'investissements nationaux à l'étranger ou à des potentiels exportateurs algériens. On évoque même la possibilité pour le privé algérien d'investir à nouveaux dans le secteur bancaire. Certes, il ne s'agit encore dans la plupart des cas que de promesses, et les gouvernements précédents se sont déjà illustrés par leurs effets d'annonce, rarement suivis de concrétisation sur le terrain. Rien donc d'exceptionnel, a priori. Pourtant, même dans ses moments de réceptivité le gouvernement n'a jamais laissé miroiter la possibilité de rouvrir le secteur aérien au privé ou de l'autoriser à investir à l'étranger. D'aucuns estiment que la chute des cours du pétrole et avec elle le rétrécissement des recettes de l'Etat expliquent cette soudaine bonne volonté affichée par les membres du gouvernement. Arezki Issiakhem, opérateur économique, estime que «c'est l'une des rares fois où les pouvoirs publics semblent avoir pris conscience que la situation n'est pas favorable et qu'il est impératif de libérer l'économie et les initiatives». La conjoncture actuelle «y est pour quelque chose», dit-il. «La solution doit venir de l'entreprise.» Enième promesse de libéralisation ou vrai engagement, certains chefs d'entreprises veulent y croire. Djamel Mezine, secrétaire général de l'Association générale des entrepreneurs algériens (AGEA) considère qu'il y a «des signes de réelle volonté politique résultant notamment du fait que le gouvernement sait aujourd'hui que la diversification de l'économie est un passage obligé et que nous sommes contraints de passer par l'ouverture, d'en finir avec la discrimination entre public et privé et que l'Etat prenne ses responsabilités de régulateur.» Bonne volonté Mais la crise explique-t-elle tout ? Beaucoup d'observateurs de la scène économique ne peuvent pas s'empêcher de noter que cette nouvelle disposition du gouvernement à répondre favorablement aux doléances des chefs d'entreprise se fait sous l'impulsion du Forum des chefs d'entreprise. Le président du FCE, Ali Haddad, a entamé depuis la mi-janvier un cycle de rencontres avec des membres du gouvernement, de l'Assemblée populaire nationale, du corps diplomatique national et étranger, de même qu'avec d'autres organisations patronales. Et il semblerait que le patron de l'ETRHB ait été capable de réussir là où ces organisations pourtant signataires du pacte nationale de croissance, contrairement au FCE, ont échoué. Et pour cause. A la critique de Ali Haddad sur le taux d'IBS unifié décidé dans la loi de finances 2015, le gouvernement fait savoir qu'il étudiera la question et des sources patronales annoncent sa suppression dans une loi de finances complémentaire. A la requête pour relancer la consommation du produit national, on annonce un arrêté ministériel pour booster la campagne «consommons national». A l'appel pour ouvrir le secteur aérien au privé, Amar Ghoul, le ministre des Transports répond favorablement, avec quelques réserves. Et quand le FCE suggère de mettre l'accent sur l'Afrique pour développer les exportations et les investissements nationaux, le ministère des Affaires étrangères annonce la création d'un guichet unique pour faciliter la tâche aux opérateurs économiques désireux d'investir dans 20 pays africains. Le nouveau patron du FCE est très actif sur le terrain, pour le grand bien des entreprises. Son vice-président, Mohamed Baïri, a déclaré que lors des rencontres du Forum avec les différents ministres, il a été constaté combien ces derniers étaient mal informés sur la réalité du terrain et les obstacles auxquels les entreprises font face. Autrement dit, les nombreuses rencontres tripartites et bipartites qui ont réuni le gouvernement avec les organisations patronales signataires du pacte national économique et social n'auraient pas servi à dépeindre un tableau suffisamment clair pour l'Exécutif. Aubaine A l'intérieur du Forum, le dynamisme du nouveau président n'étonne pas, il réjouit même. Hassan Khelifati, PDG d'Alliance Assurance et membre de l'exécutif du FCE, affirme que cela «s'inscrit en droite ligne avec le programme annoncé par Ali Haddad dans lequel le FCE doit prendre le leadership de l'entreprise algérienne». Ce programme est en train d'être «exécuté, et c'est très positif pour faire avancer la cause des entreprises auprès des pouvoirs publics étant donné que la chute des cours du pétrole va nécessiter une réorientation générale de la question économique et du rôle de plus en plus important de l'entreprise dans cette nouvelle phase». De plus, pour ceux qui voient une relation entre l'activisme actuel du FCE, le pouvoir de convaincre de Ali Haddad et le soutien du FCE au 4e mandat du président Bouteflika, certains membres du FCE estiment qu'il n'en est rien. Arezki Issiakhem, membre du Forum, affirme que «le FCE n'a pas changé de politique, ni de philosophie, ni d'idéologie ou de revendications. Nous avons toujours plaidé pour l'ouverture et la diversification de l'économie. Si ça bouge, c'est tant mieux. Mais même à l'époque de Reda Hamiani on a eu des rencontres avec des ministres et des ambassadeurs.» Dans son discours de campagne pour la présidence du FCE, Ali Haddad avait en effet décliné toutes les actions qu'il est aujourd'hui en train de mener. Renforcer le dialogue avec les pouvoirs publics, fédérer les d'entreprises, faire entendre la voix des patrons, et œuvrer à l'ouverture de tous les secteurs jusque-là fermés au secteur privé faisaient partie de ses priorités. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il tient ses promesses.Safia Berkouk