A ce beau-fils qui pleurait la mort de sa belle-mère plus que ses propres enfants, quelqu'un demanda les raisons de cette exagération. «Mais je pleure de peur qu'elle ne revienne !», dit-il. Ainsi donc, on ne pleure pas tous de la même façon, ni pour les mêmes raisons. Et lorsque les larmes coulent sur les joues, cela peut être de joie, de tristesse, de dépression ou parce qu'on a un poil dans l'œil. Dans la vie de tous les jours aussi, on pleure comme on peut et, à la limite, comme on veut. Lorsqu'on est obligé de changer de trottoir pour que nos gosses ne voient pas les bananes et les pommes, lorsqu'on n'a pas d'autre solution que de mendier des prêts minables pour acheter un sachet de lait pour cinq gosses, ou quand on ne peut que se retourner dans un lit qui ressemble, chaque jour un peu plus, à une tombe, il n'est nul besoin de faire appel aux ophtalmologistes ou aux ophtalmologues pour chercher un poil dans l'œil. Il n'y en a point ! Mais lorsqu'on pleure lors des funérailles du voisin de l'ami de la cousine du chauffeur de Monsieur, alors là, il n'est plus question d'un seul mais d'une touffe de poils dans les yeux. El Guellil ne sait pas mentir car, n'en déplaise à Monsieur, lorsqu'on attend devant une épicerie plus d'un quart d'heure avant d'oser entrer mendier un litre d'huile pour des enfants qui, jure-t-on en éclatant en sanglots, ne se sont rien mis sous la dent depuis deux jours, il est fort déplacé de vouloir chercher quelque cheveu dans les yeux. Certes, le nombre des mendiants s'est accru ces derniers temps, mais est-ce pour autant que l'on est obligé de se promener avec un détecteur de mensonge ou avec un huissier pour faire mendier tout ce beau monde sous serment ? La vie, c'est bien beau lorsqu'on n'a pas de soucis à se faire mais c'est encore plus beau lorsqu'on n'a pas de soucis à causer aux autres. Alors si on a un sou (ci) à donner qu'on le donne en silence, c'est-à-dire sans commentaire, sinon que chacun garde sa monnaie et ses réflexions. Et s'il y a des poils à chercher, tout laisse croire que c'est dans les yeux de ceux qui, au départ d'un «Si flen», se mettent à déverser des fleuves de larmes non salées. Tout compte fait, El Guellil ne sait pas pleurer, non plus. Et si, par hasard, cela lui arrive, c'est parce qu'il a, tout simplement, la poussière de la vie dans l'œil.